Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 30 - 22 mai 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

La Gaspésie a eu sa propre calotte glaciaire

Véronique Tremblay trouve les premiers indices d’un refroidissement lors de la déglaciation de la Gaspésie

Véronique Tremblay

En juillet, on peut encore apercevoir de la neige sur les pentes du mont Albert dans les Chic-Chocs, en Gaspésie. Mais, il y a 12 000 ans, toute la péninsule était encore recouverte d’une calotte glaciaire locale tandis que la calotte principale, qui occupait l’ensemble du continent nord-américain – l’inlandsis laurentien –, avait déjà libéré la vallée du Saint-Laurent depuis plus de 500 ans.

Cette calotte locale a obéi à sa propre dynamique. Véronique Tremblay vient d’apporter de nouveaux éléments de connaissance permettant de préciser le scénario de la déglaciation du Québec. Pendant trois semaines l’été dernier, l’étudiante, qui était alors au cheminement honor du baccalauréat spécialisé du Département de géographie, a arpenté les Chic-Chocs à la recherche de traces laissées par les glaciers, empruntant tantôt le sentier des Appalaches, tantôt les chemins forestiers ou encore pagayant sur la rivière Cap-Chat.

Véronique Tremblay

Du bout de sa pelle, Véronique Tremblay dégage une motte d’argile retrouvée au cœur d’un dépôt morainique et qui constitue un indice d’une réavancée du glacier.

Du gneiss issu du Bouclier
«La question à résoudre est de savoir s’il y avait une seule grande calotte qui recouvrait tout le Québec ou si les glaces étaient composées de plusieurs petites calottes», explique l’étudiante. Certains sont portés à croire que, même si la glaciation samorcée en divers endroits du territoire, l’inlandsis laurentien a fini par tout couvrir.

«Nous savons que l’inlandsis s’est écoulé par la vallée de la Matapédia, mais nous n’avons aucun signe permettant d’affirmer qu’il a aussi recouvert la péninsule gaspésienne», dit-elle.

Sur la côte de Cap-Chat, Véronique Tremblay a découvert une dizaine de blocs de gneiss précambrien qui ne peuvent provenir que du Bouclier canadien puisque cette roche métamorphique ne fait pas partie des formations rocheuses de la Gaspésie. «Par contre, on ne retrouve aucun de ces blocs erratiques à l’intérieur des Chic-Chocs», souligne l’étudiante. De plus, les stries façonnées par les glaciers sur les parois rocheuses du rivage montrent qu’ils ont coulé le long de la côte.

Cela révèle que les déplacements de glaces en provenance du nord, c’est-à-dire des Laurentides et du Bouclier canadien, ont été bloqués par les Chic-Chocs, puis ont bifurqué vers l’est pour tracer la ligne qui délimite actuellement la péninsule.

Toujours dans la baie de Cap-Chat, Véronique Tremblay a également repéré des blocs de schiste vert qui eux proviennent bel et bien des monts Chic-Chocs, ce qui signale qu’un écoulement de glace s’est fait des sommets gaspésiens vers le Saint-Laurent.

Véronique Tremblay

La vallée de la rivière Cap-Chat avec les monts Chic-Chocs à l’arrière-plan.

Une réavancée il y a 12 000 ans
L’étudiante a en outre rapporté un autre indice montrant que la calotte gaspésienne a eu sa propre dynamique, soit des blocs d’argile entremêlée de coquillages retrouvés à travers des dépôts morainiques. «La présence d’argile marine dans cette moraine indique que la calotte locale a connu une réavancée; le glacier a alors arraché cette argile déposée au fond de la mer qui recouvrait la région», déclare-t-elle avec une fierté justifiée.

La datation des coquillages au carbone 14 donne un âge de 12 080 ans (± 50 ans). «La réavancée des glaces s’est donc produite il y a environ 12 000 ans et elle est probablement due à un refroidissement», soutient l’étudiante. Des traces d’un tel refroidissement ont aussi été observées par le professeur Pierre Richard dans les pollens d’une tourbière du mont Saint-Hilaire, refroidissement qu’il situait entre 12 900 et 11 500 ans avant aujourd’hui. C’est cependant la première fois qu’on en relève des indices en Gaspésie.

Prudente, Véronique Tremblay mentionne que le phénomène pourrait aussi être le résultat de la dynamique propre à la calotte glaciaire, qui aurait connu un écoulement plus intense à cette époque.

Le continent rebondit
La jeune chercheuse a aussi recueilli des indices montrant jusqu’où la mer avait pénétré dans la vallée de la rivière Cap-Chat: les traces de dépôts marins vont jusqu’à 10 km à l’intérieur des terres. La stratigraphie démontre que le niveau de la mer s’est par la suite progressivement abaissé. Cela peut sembler contradictoire puisque la fonte du glacier continental devrait se traduire par une élévation du niveau de la mer.

En fait, ce n’est pas la mer qui s’est retirée mais le continent qui s’est élevé suite à la libération du poids de la glace. Les données révèlent de plus un léger affaissement subséquent de la péninsule il y a 4000 ans suivi d’une remontée 2000 ans plus tard. Le phénomène demeure pour l’instant inexpliqué, mais peut faire partie des oscillations marquant le retour progressif à la normale.

Les résultats de cette recherche, soit la découverte des blocs de gneiss, la datation des coquillages, la réavancée de la calotte gaspésienne et l’interprétation de la stratigraphie, ont tous été confirmés par le professeur James Grey, qui a dirigé le travail et qui compte en faire l’objet d’une publication. La recherche a été soutenue par la Société géographique royale du Canada.

Daniel Baril

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