L’autisme est une maladie difficile à cerner parce que ses symptômes peuvent se confondre avec ceux d’autres troubles du comportement et de la communication. Mais une équipe du laboratoire de recherche sur le sommeil de l’hôpital Rivière-des-Prairies, dirigé par le Roger Godbout, vient de repérer un nouveau signe qui pourrait en faciliter la compréhension.
«Les personnes atteintes d’autisme présentent un fonctionnement particulier des aires visuelles et cette caractéristique n’a été mise en relation avec aucune autre maladie psychiatrique», affirme M. Godbout, professeur au Département de psychiatrie.
On se doutait déjà que la perception visuelle pouvait être perturbée chez les autistes. «Un des symptômes de la maladie est le traitement parcellaire de l’information visuelle reçue par le cerveau et qui montre que les patients n’arrivent pas à traiter cette information comme un tout, explique le professeur. Si on leur montre un visage, par exemple, ils perçoivent les composantes comme le nez, les yeux et la bouche de façon séparée et non comme un ensemble. Des recherches en imagerie médicale indiquent d’ailleurs que la région du cerveau qui traite ce type d’information est sous-utilisée alors que celle traitant des objets isolés est surutilisée.»
C’est sur le plan de la fonction associative plutôt que par rapport aux fonctions primaires de la vision que semble donc se situer le problème: les autistes éprouvent de la difficulté à saisir le sens de ce qu’ils perçoivent, ce qui ne serait pas étranger à leur incapacité d’associer les expressions du visage aux émotions qu’elles traduisent.
Trouvaille fantastique
Pour vérifier l’hypothèse d’un dérèglement de la fonction associative, les chercheurs ont observé l’électroencéphalogramme (EEG) de personnes atteintes d’autisme pendant le sommeil paradoxal. «Au cours de cette phase —qui est celle des rêves les plus vifs —, le cerveau est coupé du monde extérieur alors que les aires de la vision sont activées de façon endogène. Ceci nous permet de vérifier plus facilement si une activité atypique se déroule dans ces régions.» Le Dr Godbout et deux de ses étudiantes au doctorat en neuropsychologie, Anne-Marie Daoust et Élyse Limoges, ont également mesuré l’EEG des patients pendant l’état de veille, soit le soir et le matin. Ils ont observé que le voltage de leurs ondes cérébrales est plus élevé le soir dans les bandes EEG lentes (delta et thêta) des régions frontale, centrale et temporale que chez les sujets témoins.
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Les personnes atteintes d’autisme n’ont pas de problème particulier de perception visuelle; c’est plutôt la fonction associative de la vision qui serait atteinte, explique Roger Godbout. |
Mais au cours du sommeil paradoxal, alors que le cerveau est relativement isolé des stimulus externes de l’état de veille, seule la région temporo-occipitale présente une différence, soit un voltage plus faible dans la bande bêta (EEG rapide). Or, l’activité bêta est caractéristique de l’activité neuronale du sommeil paradoxal et la région temporo-occipitale gère les fonctions de la vision.
«Ceci veut dire que les mécanismes neuronaux du sommeil paradoxal sont atypiques chez les personnes atteintes d’autisme, affirme Roger Godbout. C’est une trouvaille fantastique qui révèle une nouvelle caractéristique de la maladie et qui renforce l’hypothèse d’une anomalie dans la fonction associative de la vision.»
Ces travaux soulèvent d’autres questions qui ouvrent aux chercheurs de nombreuses pistes de recherche. «On peut se demander si le problème se situe dans le cortex ou dans le thalamus, qui lui envoie le signal», souligne le professeur.
Par ailleurs, le fait que les différences dans l’EEG des autistes varient selon les périodes de la journée pourrait signifier qu’ils se fatiguent ou qu’ils récupèrent de façon différente des autres.
«À l’état de veille, la différence la plus forte dans l’EEG entre personnes atteintes d’autisme et groupe témoin se situe le soir, alors qu’au matin les EEG des deux groupes sont comparables. Ceci nous montre que les patients autistes sont affectés d’une fatigue cérébrale diurne plus grande que celle des autres, ou que leur récupération nocturne est meilleure. Le phénomène pourrait aussi être lié aux rythmes circadiens.»
L’hypothèse de la fatigue diurne plus intense pourrait expliquer les troubles de la mémoire, de l’attention et des fonctions exécutives comme la prise de décision dont souffrent les autistes.
L’équipe du laboratoire de recherche sur le sommeil poursuit en ce moment d’autres travaux afin de vérifier si l’EEG des personnes atteintes d’autisme présente également des particularités en période de sommeil profond.
Daniel Baril