Édition du 4 septembre 2001 / Volume 36, numéro 2
 
  Dormir avec des fourmis dans les jambes
Jacques Montplaisir étudie les troubles du sommeil, de l’enfance jusqu’à la mort.

Jacques Montplaisir, qui a fondé le Centre d’étude du sommeil et des rythmes biologiques de l’Hôpital du Sacré-Cœur, n’a pas perdu son enthousiasme des premiers jours pour la médecine du sommeil.

On les voit marcher le long des couloirs dans les avions ou arpenter les corridors des cinémas durant la projection. Les personnes atteintes du syndrome des «jambes sans repos» ont littéralement des fourmis dans les membres inférieurs. Des fourmis qui s’activent le plus souvent au moment de se mettre au lit… et la nuit durant. «Ce syndrome touche environ 10 % de la population, lance Jacques Montplaisir. La plupart en sont atteints de façon relativement bénigne, mais on a compté jusqu’à 13 000 sursauts en une seule nuit chez les cas lourds.»

Comme on s’en doute, les personnes qui se réveillent après une nuit aussi agitée ne sont guère reposées. Elles ont l’impression d’avoir marché toute la nuit, et c’est souvent littéralement vrai. Somnolentes ou aux prises avec des problèmes d’hypovigilance dans le courant de la journée, elles peuvent être de véritables dangers publics si elles prennent le volant.

Une maladie rare? Pas du tout. Environ 350 000 Québécois, soit deux fois plus que dans le reste du Canada (on cherche d’ailleurs le gène responsable), en seraient atteints de façon majeure. Peu connu du grand public, ce syndrome serait la quatrième cause de consultation dans les cliniques spécialisées dans les troubles du sommeil. «Si l’on ne tient pas compte des maladies dues aux habitudes de vie — alcoolisme, toxicomanie, obésité —, c’est la première cause», souligne le Dr Montplaisir.

Spécialiste mondial de ce phénomène appelé aussi «impatiences musculaires» (ou restless legs syndrome), le psychiatre a publié plusieurs articles scientifiques sur le sujet. En 1986, il découvrait que la lévodopa, un médicament utilisé pour le traitement de la maladie de Parkinson, donnait d’excellents résultats sur les victimes du syndrome. En 1999, il a mis au jour un traitement encore plus efficace à base de pramipéxole. Aujourd’hui, l’usage de ce médicament est généralisé chez les cliniciens.

Une chaire sur les troubles du sommeil

Après 30 ans de recherche en médecine du sommeil, le fondateur du Centre d’étude du sommeil et des rythmes biologiques, réclamé aux quatre coins de la planète pour son expertise sur le somnambulisme et la narcolepsie, vient de se voir attribuer une chaire de recherche dotée d’un budget de 200 000 $ sur sept ans. Cette attribution lui a permis de refuser avec moins d’amertume les nombreuses offres des centres de recherche américains ou européens qui le courtisent, prêts à lui offrir le triple de son salaire. «À mesure qu’on vieillit, on est de plus en plus recherché, laisse-t-il tomber en souriant. Si j’ai refusé de quitter Montréal jusqu’à présent, ce n’était pas qu’une question d’argent. Monter une équipe de recherche prend du temps, et c’est chose faite ici. Notre centre est très productif et l’équipe est dynamique, compétente.»

Lancée en avril dernier, la chaire permettra au chercheur de consolider des travaux qu’il mène sans relâche sur les troubles du sommeil, de la petite enfance au troisième âge. Un des axes les plus prometteurs des études du Centre porte en effet sur le vieillissement. «On sait que les personnes âgées dorment moins bien à mesure qu’elles vieillissent. Pourquoi? D’abord, leur rythme circadien se modifie. Les gens âgés dormiraient mieux s’ils se couchaient à 20 h pour se lever vers 4 h. Qui veut faire ça? Résultat: ils vont au lit à 23 h et se réveillent quand même à 4 h. Ensuite, leur sommeil semble moins réparateur, probablement à cause d’une carence de ce que nous appelons le “sommeil lent profond”. Enfin, il ne faut pas passer sous silence les effets des médicaments et les problèmes d’ordre psychologique: deuil, solitude, dépression.»

Des recherches sur la maladie de Parkinson sont également au programme. Cette maladie cause plusieurs problèmes de sommeil, et l’équipe du Dr Montplaisir veut mettre au point une façon de diagnostiquer les premiers signes neurologiques de cette affection, avant même que les symptômes se manifestent. En 1992, le chercheur a élaboré une méthode similaire pour la maladie d’Alzheimer.

À l’autre extrémité du développement humain, le sommeil des bébés intéresse aussi l’équipe de l’Hôpital du Sacré-Cœur. «Comment font-ils leurs nuits? Comment certains souffrent-ils des maladies du sommeil comme l’énurésie, le somnambulisme ou les terreurs nocturnes? Pour répondre à ces questions, nous suivons depuis leur naissance environ 2000 enfants d’une cohorte scientifiquement échantillonnée.»

Un centre réputé

Même si le professeur Montplaisir a vu la médecine du sommeil prendre un grand essor depuis une vingtaine d’années (on compte aujourd’hui 300 centres de recherche seulement aux États-Unis), il a su garder son centre de recherche dans le peloton de tête. Doté d’un appareillage parmi les plus sophistiqués au monde, le Centre d’étude du sommeil et des rythmes biologiques a été rénové récemment au coût de 1,7 M$, ce qui exclut la valeur de l’équipement (1 M$). «Le Centre a aujourd’hui une grande productivité scientifique», dit son directeur.

Le laboratoire, où Serge Montplaisir a longtemps été le seul chercheur, a connu une poussée de croissance avec l’arrivée de Marie Dumont en 1989, une ancienne étudiante du professeur qui s’est penchée sur les rythmes circadiens à l’Université Harvard; puis Gilles Lavigne (1986) a travaillé sur le bruxisme; et Tore Neilson (1993) et Antonio Zadra (1998) ont mené des recherches sur le rêve; Julie Carrier (1999) a fait quant à elle du vieillissement sa spécialité. L’an dernier, la neuropsychologue Anne Décary s’est jointe à l’équipe. Un deuxième médecin, Daniel Philipin, assiste le Dr Montplaisir du côté de la clinique. Un bon nombre de stagiaires et d’étudiants des cycles supérieurs intéressés par l’un ou l’autre de ces sujets ont fréquenté, jour et nuit, le cinquième étage de l’aile J de l’Hôpital du Sacré-Cœur.

Jacques Montplaisir, qui a un horaire chargé, est un homme détendu. Pas du genre insomniaque. Questionné sur ses recherches, il est intarissable. «Je m’étonne moi-même d’être encore aussi enthousiaste, déclare-t-il. J’étais au collège Sainte-Marie lorsque j’ai entendu parler pour la première fois des mystères du sommeil. Je trouvais tout cela fascinant, le sommeil paradoxal, les rêves. C’était comme un monde inexploré qui ne demandait qu’à livrer ses secrets.»

En décidant de suivre cette voie dès ses études de doctorat, il a participé à l’une des premières rencontres de spécialistes nord-américains sur la question en 1975. Mais il ne s’attendait pas à continuer d’épier des sujets endormis au tournant du millénaire. Pourtant, cet amateur de tango argentin vient de s’acheter une maison à deux pas de l’hôpital, et c’est sur sa terrasse fleurie qu’il prévoit recevoir collègues et étudiants pour discuter des travaux en cours. Manifestement, le chercheur n’a pas fait le tour de la question.

Mathieu-Robert Sauvé



 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications