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Le professeur Kieron O’Connor recommande un traitement psychologique lors du sevrage des benzodiazépines. À son avis, le soutien moral et la psychothérapie «cognitive-comportementale» sont des facteurs clés. |
Au Québec, 80 % des personnes âgées consomment des benzodiazépines (Bzd): diazépam, flurazépam, lorazépam, etc. Les effets secondaires de ces tranquillisants sont considérables: irritabilité, vertiges, pertes de mémoire, confusion, détériorations cognitives. Les agents chimiques augmentent également le risque de chutes, causes de nombreux décès parmi les aînés. Le phénomène est si préoccupant qu’une personne âgée sur deux estime prendre trop de médicaments et aimerait en arrêter la consommation. Mais les benzodiazépines entraînent une forte dépendance physique et psychique.
«Il suffit à peine de huit semaines pour engendrer une dépendance aux Bzd, affirme Kieron O’Connor, professeur au Département de psychiatrie et chercheur clinicien au Centre de recherche Fernand-Seguin. Quel que soit l’âge des individus qui ont recours à ce psychotrope —souvent employé pour traiter l’anxiété ou l’insomnie des aînés —, plusieurs souffrent d’un syndrome de manque lorsqu’ils en cessent l’utilisation.» Dans l’incapacité de résister à ce manque, qui provoque des malaises divers, la personne se retrouve comme les toxicomanes dans la spirale de la dépendance: selon une recherche du ministère de la Santé et des Services sociaux, 81 % des gens qui désirent cesser l’usage des Bzd rechutent.
«Dans un contexte social caractérisé par le vieillissement de la population, où des enjeux socioéconomiques sont associés aux coûts en soins de santé et à la qualité de vie des gens, il est urgent de mettre en place un programme de traitement pour aider ceux et celles qui refusent de demeurer accros aux benzodiazépines», signale le psychologue.
Voilà précisément ce à quoi s’est attaqué ce spécialiste des problèmes d’anxiété et des troubles obsessifs et délirants. Son expertise des tourments psychiques l’a amené à concevoir un programme d’aide au soutien du sevrage des Bzd. Basé sur une approche psychologique dite «cognitive-comportementale», le programme, qui a fait ses preuves auprès d’une population âgée de 18 à 65 ans, suscite beaucoup d’espoir. M. O’Connor veut maintenant en faire bénéficier les personnes âgées.
«Parmi la vingtaine d’individus qui ont terminé le traitement, un seul a fait une rechute après 18 mois», fait valoir le chercheur d’origine irlandaise. Il prône une approche graduelle pour surmonter les effets pharmacologiques liés au sevrage et la détresse engendrée par la réapparition du problème original.
La nécessité d’une assistance psychothérapeutique
En 1997, afin de mieux comprendre le phénomène de rechute à la suite d’une période de sevrage dans la prise de Bzd, Kieron O’Connor et des collaborateurs du Centre de recherche Fernand-Seguin, de l’hôpital Louis-Hippolyte-LaFontaine, et du Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal entreprennent une première étude auprès d’une soixantaine de sujets. L’échantillon se compose de trois groupes de personnes, âgées de 21 à 65 ans, qui souffrent d’anxiété ou d’insomnie.
Le premier groupe est constitué d’individus qui ont entrepris un sevrage graduel; le deuxième est formé de personnes qui prennent toujours leurs tranquillisants; et le troisième réunit des gens qui n’ont jamais pris de benzodiazépines. Une série de mesures, dont des questionnaires et des entrevues semi-structurées, sont alors utilisées pour évaluer l’influence de différentes variables sur la sévérité ou le succès du sevrage. Des échantillons d’urine sont également recueillis pour vérifier la présence ou l’absence de Bzd dans le corps.
Les résultats, publiés dans la revue scientifique Addictive Behavior, révèlent que la personnalité et la perception du niveau de sa qualité de vie peuvent jouer un rôle marquant durant la période de sevrage des benzodiazépines. Par exemple, les personnes anxieuses seraient plus à risque de développer une dépendance à ce médicament, selon M. O’Connor.
«La détresse psychologique liée au sevrage n’a été observée que chez les gens qui souffrent d’anxiété, dit-il. Chez les sujets du groupe sevré, la détresse ressemble davantage à celle des individus qui ne prennent pas de Bzd. Ceci nous indique l’importance de la réapparition des problèmes d’anxiété vécus lors du retrait de la médication. D’où la nécessité d’une assistance psychothérapeutique.»
L’expérience aurait pu s’arrêter là si Kieron O’Connor n’avait eu l’idée de mettre sur pied un programme d’aide au soutien du sevrage des Bzd. Ce chercheur financé par le Fonds de la recherche en santé du Québec n’en était pas à sa première tentative. Deux de ses programmes d’aide connaissent un vif succès. L’un permet aux personnes atteintes du syndrome de Gilles de La Tourette de mieux contrôler les tics liés à leurs troubles neurologiques et l’autre vise à faciliter le sevrage du tabagisme.
D’après le psychologue, chaque problème a ses particularités et chaque individu ses points vulnérables. Une prise en charge personnalisée est donc indispensable. Mais le principe du sevrage est le même. «Guérir la dépendance implique non seulement de traiter le manque induit par l’absence du produit dans le corps, mais, surtout, d’effacer la dépendance psychique, allègue-t-il. Il faut s’intéresser à la personne dans sa globalité, c’est-à-dire tenir compte des autres composantes de la dépendance, sinon le sevrage n’aura qu’une efficacité limitée.»
Les médecins montrés du doigt
Selon Kieron O’Connor, l’anxiété et la dépression résultent de plusieurs facteurs, notamment la solitude, la baisse de l’estime de soi et les épreuves comme le deuil ou la perte d’autonomie. «Ce ne sont pas des problèmes qu’on règle nécessairement avec des médicaments», avise-t-il.
En collaboration avec deux étudiantes au doctorat, le professeur O’Connor poursuit présentement une étude sur les difficultés reliées au sevrage des benzodiazépines chez les personnes âgées. Les chercheurs tentent notamment de définir le contexte psychosocial autour de la prise des psychotropes.
Dominique Nancy
Comment se crée la dépendance |
Héroïne, cocaïne, amphétamines, benzodiazépines, cannabis, alcool et tabac agissent sur le système nerveux central en stimulant l’action des neurotransmetteurs, dont ceux de la dopamine et de la sérotonine. Ce qui procure une impression de satisfaction.
Les drogues stimulent de façon excessive le circuit de neurones qui produisent ces neurotransmetteurs, explique Kieron O’Connor, professeur au Département de psychiatrie et chercheur clinicien au Centre de recherche Fernand-Seguin. À la longue, cette action modifie le fonctionnement normal du système en le rendant plus difficile à s’activer. Même les plaisirs de la vie courante, comme manger un bon repas ou faire l’amour, n’y suffisent plus. Sans drogue, il se crée alors un syndrome de manque.
Le moyen le plus rapide de faire disparaître les malaises liés à cette privation est de consommer le produit de nouveau. Mais une telle utilisation entraîne une nouvelle phase de manque! Un véritable cercle vicieux. Car même si l’individu parvient à l’abstinence, le besoin de drogue demeure et peut resurgir à tout moment.
D.N. |