Édition du 4 septembre 2001 / Volume 36, numéro 2
 
  Piéger l’invisible
Après les neutrinos, les chercheurs se tournent vers une autre particule exotique, les neutralinos, pour débusquer la masse manquante.

Louis Lessard, Marie Di Marco, étudiante au doctorat, et Claude Leroy autour de l’accélérateurservant à irradier les détecteurs de neutralinos afin d’étudier leurs réactions aux rayonnements.

La masse manquante ou matière sombre, qui représente entre 90 et 95 % de la matière de l’Univers mais qu’on ne parvient pas à observer, pourrait être constituée de particules invisibles et exotiques plutôt que d’astres telles les naines brunes ou les naines blanches.

La découverte récente faite à l’Observatoire de neutrinos de Sudbury (SNO) et qui a permis d’attribuer une masse aux neutrinos a du même coup déclassé cette particule comme principale candidate à la masse manquante parce que sa masse n’est pas suffisante pour expliquer certains phénomènes comme le mouvement des galaxies.

«Les résultats du SNO montrent que la masse des neutrinos est de 0,1 à 0,3 électronvolt; il faudrait qu’elle soit de 10 à 20 fois plus importante pour qu’ils constituent toute la matière sombre», explique Claude Leroy, directeur du Groupe de physique des particules (GPP) du Département de physique. À son avis, l’essentiel de la masse manquante serait plutôt formé de neutralinos. Une équipe du GPP, regroupée autour du projet Picasso (Projet d’identification des candidates supersymétriques de la matière sombre), s’est mise à la recherche de ces particules mystérieuses.

De charge électrique neutre comme les neutrinos et les neutrons, les neutralinos auraient une masse au moins 40 fois plus grande que celle d’un proton. «Leur existence est prédite par certains modèles qui explorent de nouveaux niveaux de symétrie des particules au-delà du modèle standard actuel, explique Louis Lessard, membre de l’équipe Picasso. Le modèle standard en physique des particules n’arrive pas à expliquer la masse manquante et c’est pourquoi il faut faire appel à des particules exotiques, c’est-à-dire différentes de la matière telle que nous la connaissons et dont nous sommes nous-mêmes constitués.»

Selon ces nouveaux modèles, l’origine des neutralinos remonterait au big-bang lui-même et les galaxies seraient entourées d’une sphère de ces particules invisibles. «Elles sont partout autour de nous et elles nous bombardent continuellement, ajoute le chercheur. Elles traversent les murs, la croûte terrestre et notre corps sans qu’on s’en rende compte.»

Capter leur signal

Comme pour les neutrinos, l’interaction des neutralinos avec la matière est donc très faible et l’objectif du projet Picasso, qui est de les capter pour en évaluer la masse et la forme d’interaction, est un défi de taille. Pour y arriver, l’équipe de recherche a mis au point un détecteur apparemment fort simple: un cylindre rempli d’un gel polymérisé dans lequel des gouttelettes de fréon surchauffées sont maintenues en suspension.

«Le fréon contient du fluor, qui est l’élément le plus susceptible de réagir à l’un des modes d’interaction des neutralinos, croit Louis Lessard. Si un neutralino traverse le détecteur et frappe un noyau de fluor dans une gouttelette de fréon, celle-ci pourra se transformer en bulle de gaz. Le choc produit par cette miniexplosion engendre une onde acoustique qui peut être décelée par des micros ultrasensibles reliés à un ordinateur qui trace le profil de cette onde.»

Le problème, c’est que plusieurs autres types de rayonnements présents dans l’environnement peuvent aussi interagir avec le détecteur, notamment les rayons gamma, les neutrons, les muons et les particules alpha issues de la désintégration de l’uranium. Il faut donc que le capteur soit insensible à ce bruit de fond.

Le prototype expérimenté au laboratoire du GPP a donné des résultats suffisamment prometteurs pour que l’équipe aille le tester, dès cet automne, dans les conditions optimales de l’Observatoire de neutrinos de Sudbury. La chambre de cet observatoire est située dans une mine à deux kilomètres sous terre, là où il y a le moins de particules parasites produites par les rayons cosmiques.

Par la suite, le groupe Picasso entend unir ses efforts à ceux d’une équipe européenne qui travaille dans la même voie afin de produire un détecteur capable de contenir une tonne de fréon, ce qui nécessitera un volume de 20 à 100 tonnes de gel réparti dans quelques centaines de cylindres.

Daniel Baril



 
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