Édition du 10 septembre 2001 / Volume 36, numéro 3
 
  Biographie non autorisée de Dieu
Cinq exégètes de Théologie participent à la nouvelle traduction de la Bible.

Quatre des cinq professeurs de la Faculté de théologie qui ont participé à la nouvelle traduction de la Bible: André Myre et Robert David (au premier plan); Alain Gignac et Pierre Létourneau (à l’arrière-plan). Décédée en décembre dernier, Aldina Da Silva a consacré à ce travail les derniers mois de sa vie.

«Dieu crée ciel et terre.» C’est la nouvelle façon de dire que Dieu «créa le ciel et la terre» et que «cela était bon». Conjuguée au présent, la Genèse serait plus dynamique, plus moderne. «La première fois, ça surprend», concède André Myre, l’un des cinq théologiens de l’Université de Montréal engagés dans l’audacieuse et colossale aventure de la nouvelle traduction de la Bible, qui paraît le 12 septembre après six ans de travail. «Mais quand on se laisse pénétrer par cette nouvelle approche, plus littéraire, plus poétique, on redécouvre ce qu’on croyait connaître, on réentend ce qu’on n’écoutait plus, on tremble de nouveau d’une passion qu’on croyait éteinte», poursuit-il.

La nouvelle conjugaison des textes fondateurs de la chrétienté n’est pas la seule audace de cette nouvelle version du livre des livres. C’est la première fois qu’on retrouve des femmes parmi ses traducteurs et interprètes; la première fois aussi que des non-chrétiens, des athées et des agnostiques sont invités à participer à ce travail, ce qui apparaît déjà aux yeux de certains comme une hérésie. Des gens seront choqués de voir qu’on a remplacé des mots chargés de sens comme «péché» par «égarement» ou «crime», «foi» par «confiance», «résurrection» par «réveil» et «Satan» par «provocateur».

Alain Gignac persiste et signe. «Nous ne sommes pas passés au vote pour traduire tel ou tel mot de telle façon, explique ce spécialiste de l’évangéliste Paul. Chacun avait une grande marge de manœuvre. Le mot “esprit”, par exemple, est employé en hébreux et en grec de diverses façons: au sens de vent, souffle, atmosphère, respiration. Pourquoi devrions-nous nous en tenir à une seule signification?»

En tout cas, les exégètes québécois tiennent à souligner que la nouvelle traduction n’est pas une énième version de la Bible de Jérusalem timidement mise à jour à l’occasion par des biblistes soucieux de l’imprimatur. «Nous nous sommes plongés dans les 73 livres de l’Ancien et du Nouveau Testament pour retrouver les textes en hébreux et en grec qui font consensus à ce jour. Notre première tâche, à titre d’exégètes, a été de présenter une traduction mot à mot de ces textes», explique Robert David, un spécialiste du Pentateuque. Le travail d’équipe a commencé après cette étape; il y a eu jusqu’à 10 versions avant que tous se mettent d’accord.

Entreprise savante et littéraire

L’originalité de la nouvelle traduction est d’avoir été rédigée par des romanciers et des poètes, non exclusivement par des théologiens. Chaque livre est donc le résultat de la collaboration d’un exégète et d’un écrivain. Par exemple, Pierre Létourneau a été jumelé a Pascalle Monnier pour traduire Luc ; Robert David à Jean Echenoz pour Josué; Alain Gignac à Marie Depussé pour les livres des Galates et des Romains; quant à André Myre, il a travaillé avec six auteurs. Une fois la traduction littérale terminée, c’était à l’écrivain de jouer. Internet s’est avéré un allié utile.

Dès le premier retour des textes, les traducteurs ont senti qu’il se passait quelque chose. «Quand j’ai reçu le premier jet de mon écrivain pour le livre de Josué, raconte Robert David, j’ai ressenti un choc. J’avais l’impression de lire pour la première fois un texte que je croyais connaître par cœur. J’en ai lu six chapitres d’un trait.»

Même impression pour la Genèse, qu’André Myre a redécouverte. Ce professeur à la retraite qui a été le plus actif des Québécois (il a participé à la traduction de sept livres) estime que ceux qui pensent connaître la Bible devraient tenter l’expérience de la nouvelle traduction. «C’est la même histoire, comme vous ne l’avez jamais lue», dit-il.

Pierre Létourneau est ravi de s’être joint au groupe. «Pour un bibliste, prendre part à une traduction de la Bible, c’est extraordinaire. Cela n’arrive qu’une fois dans une carrière, et encore…»

Quarante-sept «traducteurs» ont participé à l’expérience, dont un professeur retraité du Département d’études françaises, Jacques Brault. Aldina Da Silva, professeure de théologie à l’Université, y aura consacré les derniers jours de sa vie. Atteinte d’un cancer, elle est morte en décembre dernier sans avoir vu les résultats de son chant du cygne.

Best-seller assuré

Tirée à 100 000 exemplaires, cette coédition franco-québécoise est assurée de figurer sur la liste des best-sellers. En plus d’une campagne de presse bien orchestrée, les éditeurs (Bayard et Médiaspaul) ont investi une somme considérable dans la promotion de l’ouvrage de 3200 pages. On en verra des annonces dans les quotidiens et les hebdomadaires, sur des panneaux d’affichage, dans les wagons de métro, sur les autobus et ailleurs.

«Nous nous attendons à des réactions extrêmes, mais également à des appuis, signale Alain Gignac. Nous sommes prêts.»

Les universitaires font remarquer que chaque génération a la liberté de s’approprier la Bible afin de l’adapter au vocabulaire, sinon aux mœurs qui changent. La dernière traduction remonte à plus de 30 ans et elle était, comme les précédentes, le fruit du travail de «gens comme nous», dit André Myre avec une honnêteté qui l’honore. Quand on la lit aujourd’hui, on y voit un «langage technique, figé dans le religieux, monotone d’ennui».

Entrepris par l’éditeur Bayard, le travail a exigé une collaboration constante entre Français, Belges, Suisses et Québécois. L’aventure s’est déroulée dans l’harmonie générale, mais n’a pas été exempte de prises de bec. Un exemple. Pour les Québécois, la fameuse «géhenne» est un «dépotoir». Mais ce terme est très peu usité en Europe, où l’on préfère «décharge», un mot qui, chez nous, veut dire autre chose…

Plus grave est la question de la féminisation de la langue. D’une seule voix, les Québécois ont féminisé ce qui pouvait l’être… en vain. «Ce n’est pas passé, regrette Alain Gignac. Le mot anthropos, en grec, signifie “humanité”, “être humain”, mais il est encore traduit en France par “homme”, et nous n’avons pas pu changer cela.»

Mathieu-Robert Sauvé

La bible: nouvelle traduction, Paris, Bayard-Médiaspaul; Montréal, 2001, 3200 p., 59,95 $.



 
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