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Quand il était enfant, au Liban, Mohamad Sawan, professeur en génie électrique à l’École Polytechnique, rêvait d’être médecin. Aujourd’hui, en travaillant à la création de dispositifs médicaux intelligents, l’ingénieur réalise en quelque sorte son rêve. |
Grâce à l’électronique et à la médecine, l’acteur américain Christopher Reeve, paralysé depuis 1995, pourrait retrouver l’usage de ses jambes et de ses bras. Autre vedette, autre handicap, le chanteur aveugle Stevie Wonder pourrait, lui, retrouver la vue.
C’est du moins ce que vise le professeur Mohamad Sawan, de l’École Polytechnique, qui travaille actuellement à la mise au point d’un microstimulateur pour la récupération des fonctions chez les patients atteints de dysfonctionnements neuromusculaires. Avec cet implant électronique capable d’activer un neurone ou un muscle, il espère pouvoir réussir là où la médecine a échoué.
Excès de confiance dans les progrès scientifiques? Pas sûr. L’équipe que dirige M. Sawan a déjà conçu un œil électronique qui n’a besoin ni de la rétine ni du nerf optique pour redonner la vue aux aveugles. Grâce à des lunettes munies d’une petite caméra et d’un contrôleur miniature qui envoie à l’implant des signaux par fréquence radio, le non-voyant arrive à situer des objets et des personnes dans l’espace. Dès que le sujet enlève les lunettes, il n’y parvient plus. «C’est la caméra qui transmet l’information à la puce implantée dans le cortex visuel. Celle-ci communique ensuite les messages au cerveau», explique l’ingénieur. Ce développement technologique est mené en collaboration avec l’Institut neurologique de Montréal.
D’ici 10 ans, cette innovation spectaculaire pourrait permettre de redonner la vue aux aveugles dont la cécité a été causée par un accident ou une maladie oculaire survenue tardivement. Une vue limitée, bien entendu, mais préférable au noir total.
L’électronique n’a pas de secret pour M. Sawan. En plus de ses travaux financés par la Fondation canadienne pour l’innovation et le gouvernement du Québec, ce lauréat honoré par l’Académie canadienne du génie pour sa contribution à l’évolution de la société vient de se voir attribuer une chaire «senior» dotée d’un fonds total de l’ordre de un million de dollars sur sept ans. Cette chaire de recherche du Canada vise la création de dispositifs médicaux intelligents miniaturisés.
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Aussi petite qu’un microprocesseur, la puce implantée dans le cortex visuel des aveugles communique les messages au cerveau grâce à des lunettes munies d’une caméra et d’un contrôleur miniature qui envoie à l’implant des signaux par fréquence radio. |
De l’œil électronique à l’implant urinaire
Le professeur Sawan souligne que le potentiel des travaux de la chaire dans le secteur médical est immense. Les applications du microstimulateur, qui mesure moins de un centimètre carré, sont nombreuses et très étonnantes. On parle notamment d’implants pour supprimer ou atténuer la douleur, la constipation et même d’un dispositif de croissance des os. «On pense aussi concevoir une microsonde vidéo qui permettrait d’effectuer la reconstruction 3D et la modélisation géométrique des structures anatomiques et mettre au point des cathéters qui surveilleraient la fonction des muscles respiratoires», signale le chercheur.
Au moment où il était interviewé par Forum, l’ingénieur venait d’obtenir un brevet international pour un stimulateur urinaire. Le dispositif qui permet la récupération des fonctions de rétention et d’évacuation de l’urine a été élaboré en collaboration avec une équipe d’urologie de l’Université McGill. Le produit est déjà en cours de commercialisation par la firme québécoise Cosem Neurostim.
«Comment définir un dispositif médical intelligent? C’est d’abord et avant tout un système capable de percevoir l’environnement autour de lui et de prendre des décisions», répond le professeur d’origine libanaise. Une usine d’assemblage d’automobiles est un type de système intelligent. Les robots industriels qui assemblent en série les différentes pièces sont munis de caméras; ils peuvent évaluer la position des pièces et procéder à des ajustements s’ils perçoivent des problèmes.
Bien sûr, les robots des usines sont moins sophistiqués que ceux dans les hôpitaux. Mais le principe reste le même. Les nouveaux cathéters, sondes utilisées pour explorer différents organes du corps humain, sont munis d’une série de capteurs capables de transmettre de l’information à un ordinateur. Bientôt, ces capteurs seront en mesure de remédier aux dysfonctionnements respiratoires et de réagir aux arythmies cardiaques, selon M. Sawan. À son avis, on peut même imaginer dans un avenir rapproché des biocapteurs capables de mesurer la pression sanguine ainsi que les taux de glucose, de protéines et de lipides dans le sang.
«Il s’agit de quelques-uns des axes de recherche et de développement de la chaire, signale son titulaire. J’ai plusieurs projets. Certains ont pour thème les cathéters, mais d’autres porteront sur les microstimulateurs, les capteurs et les dispositifs mixtes —mécanique, hydraulique et électronique — créés pour remplacer des organes atteints de maladies fatales.»
L’homme bionique est donc à nos portes. En fait, il existe déjà. Le stimulateur cardiaque en est un bel exemple. Mais dans l’univers du circuit intégré, tout est complexe. «La conception des systèmes intelligents veut s’appuyer sur diverses disciplines de l’ingénierie — notamment la microélectronique, les biomatériaux, la nanotechnologie et l’imagerie —et exige donc une étroite collaboration des experts du domaine médical, des sciences naturelles, biologiques et technologiques», conclut Mohamad Sawan.
La chaire travaillera avec pas moins de huit instituts et centres de recherche médicale reconnus mondialement.
Dominique Nancy