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Madeleine Sauvé a consacré cinq ans de travail à la rédaction de l’histoire de la Faculté de théologie. «Pour que vive la mémoire institutionnelle», dit-elle. |
Du 11 octobre au 4 novembre 1968, les étudiants de l’Université de Montréal font grève pour marquer leur opposition à l’intégration de la Faculté de théologie dans les murs de leur université. Deux ans plus tard, un comité présidé par le juge Paul Deschênes, chargé d’étudier «le rôle et la place de l’université dans notre société», après avoir reçu 70 mémoires et tenu 26 auditions, recommande de remplacer la Faculté de théologie par une faculté de sciences religieuses, non confessionnelle. La Faculté n’est pourtant âgée que de trois ans et sa mise en place a fait l’objet de négociations serrées entre le cardinal Paul-Émile Léger, le recteur Roger Gaudry, le vice-recteur Paul Lacoste et les autorités vaticanes.
«Cette remise en cause marque la première des nombreuses crises survenues dans cette faculté entre 1967 et 1997», lance Madeleine Sauvé, qui vient de faire paraître un ouvrage sur l’histoire récente de la Faculté de théologie. Celle-ci propose aujourd’hui des cours sur l’ensemble des grandes religions de l’humanité, mais possède toujours son statut «canonique» (conforme à la loi ecclésiale). De tout temps, on s’est interrogé sur le sens de la liberté d’expression dans un tel contexte.
Dans les années 70, l’étude de la théologie sur les flancs du mont Royal était une réalité depuis près d’un siècle, mais son intégration physique au campus était récente. L’Université Laval à Montréal avait ouvert ses portes aux apprentis théologiens dès 1878, mais les cours se donnaient au Grand Séminaire de Montréal. Lorsque la nouvelle charte de l’Université de Montréal est adoptée en août 1967, la Faculté de théologie en devient partie intégrante. À la rentrée d’automne, elle compte 67 professeurs et chargés de cours, et plus de 839 étudiants.
Le rapport de la commission Deschênes fait mal. «Le choc de [ses] recommandations fait l’objet de discussions et d’articles de presse; d’études à l’Assemblée universitaire, à l’Assemblée de faculté et au comité spécial du modérateur; de prises de position de tous ordres, pour finalement s’amortir dans un silence mal expliqué, mais néanmoins éloquent», écrit l’auteure de La Faculté de théologie de l’Université de Montréal: mémoire et histoire, 1967-1997. Les professeurs peuvent enfin se consacrer à leur enseignement… jusqu’à la prochaine crise.
Nouvelle crise
Peu après, la Faculté se retrouve en effet au centre d’un nouvel imbroglio. L’ère est à la remise en question de la présence de l’Église dans toutes les sphères d’activité et nombreux sont les prêtres québécois qui «se défroquent». Or, la Congrégation pour la doctrine de la foi a produit en 1972 une déclaration sur l’interprétation des normes relatives aux causes de réduction à l’état laïque. En clair: les anciens prêtres ne peuvent désormais obtenir de postes de laïcs dans les facultés de théologie, instituts et séminaires catholiques. Cette question engendrera «une crise profonde qui ne connaîtra son dénouement qu’en 1981», relate Mme Sauvé.
L’ancienne grammairienne de l’Université (elle a occupé ce poste de 1972 à 1991 après avoir travaillé elle-même à la Faculté) a consacré cinq ans de sa vie à retracer l’histoire de cette unité, à l’invitation du doyen Laval Létourneau. «Cette faculté a eu une histoire très mouvementée, mais elle va survivre, car elle sait s’adapter aux nouvelles réalités. Mais elle ne doit pas perdre le sens de sa mission fondamentale: former des spécialistes de la doctrine de l’Église, de la théologie et de l’histoire religieuse.»
Bien entendu, les 30 dernières années de la Faculté n’ont pas été uniquement marquées par des mauvaises nouvelles. Comme le souligne l’historienne («autodidacte», précise-t-elle), les professeurs se sont tournés vers des préoccupations modernes. Richard Bergeron, par exemple, a fondé le Centre d’information sur les nouvelles religions, qui a toujours pignon sur rue à Montréal; Guy Durand a créé dès 1981 un groupe de recherche interdisciplinaire en bioéthique; Jacques Grand’Maison mènera quant à lui une recherche-action de grande envergure dans la région de Saint-Jérôme afin de connaître les valeurs des différentes générations. Plusieurs publications ont aussi été lancées, dont la revue Théologiques, établie par Guy Lapointe, un professeur qui a récemment pris sa retraite et qu’on a honoré à l’occasion d’un colloque.
Parmi ses bons coups, il faut noter que la Faculté de théologie a été l’une des premières à instaurer l’enseignement à distance, plusieurs de ses étudiants étant répartis dans tous les diocèses du Québec.
Mathieu-Robert Sauvé
Madeleine Sauvé, La Faculté de théologie de l’Université de Montréal: mémoire et histoire, 1967-1997, Montréal, Fides, 2001, 736 p., 34,95 $.