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Pierre Beaulieu,
professeur au Département de pharmacologie.
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«Le cannabis a peu d’effet sur la douleur», pouvait-on lire à la une de tous les quotidiens du Canada, des États-Unis et d’Europe le 6 juillet dernier.
Pierre Beaulieu, professeur au Département de pharmacologie, fulmine. L’étude à l’origine de cette nouvelle, publiée par le British Medical Journal, «ne permet absolument pas de tirer une telle conclusion, déclare-t-il. Il est choquant qu’elle ait reçu un tel écho.» Les données citées en appui seraient à son avis trop vieilles, trop limitées et trop peu nombreuses.
Même si le Canada vient de permettre l’usage du cannabis à des fins thérapeutiques, on ne connaît que très peu de choses sur les effets cliniques réels du cannabis et sur son mode d’action. Pierre Beaulieu estime toutefois que les études chez les animaux ainsi que les témoignages d’usagers justifient la mise en place d’un programme de recherche sérieux chez l’humain, ce qui n’a pratiquement jamais été fait jusqu’ici.
Alors qu’il était professeur à l’Imperial College de Londres, M. Beaulieu a participé à des recherches fondamentales visant à vérifier l’effet du THC (tétrahydrocannabinol) sur des douleurs neuropathiques chez le rat. Ces travaux ont entre autres montré que les endocannabinoïdes produits naturellement par la membrane de nos cellules sont sécrétés de façon continue (contrairement aux endomorphines, produites dans des cas de blessures graves) et qu’ils ont, à son avis, un lien avec le système immunitaire et l’atténuation de la douleur.
Un cannabinoïde parmi 60
Au Département de pharmacologie, le chercheur poursuivra des travaux cliniques sur l’humain au sein de son tout nouveau laboratoire de recherche sur la douleur. Il cherchera notamment à déterminer quel est effet du THC dans le soulagement des douleurs causées par la mammectomie.
«On sait que le THC peut réduire les nausées provoquées par l’anesthésie et nous voulons voir si cet effet peut aussi atténuer la douleur postopératoire. Le projet vise à caractériser cet usage, c’est-à-dire à déterminer les seuils et le dosage liés aux divers effets de ce cannabinoïde.»
Le THC utilisé pour de telles recherches est produit sous forme de synthèse et est administré par voie orale. Mais le THC n’est que l’un des 60 cannabinoïdes que renferme le cannabis. Même s’il constitue le plus actif d’entre eux, l’absence des autres cannabinoïdes est probablement l’une des raisons pour lesquelles les usagers affirment que la fumée de cannabis soulage mieux la douleur que le THC synthétique.
«Lorsqu’elle est fumée, la marijuana inclut évidemment toutes les substances de la plante, mais c’est au prix des effets nocifs de la fumée, souligne Pierre Beaulieu. La voie n’est donc pas de ce côté.» Sans parler des autres conséquences comme la perte des notions de temps et d’espace, les problèmes de mémoire, etc. Ingérer le cannabis sous une forme ou une autre n’est pas une voie envisagée non plus parce que sa digestion est longue et difficile et que les effets d’une telle absorption sont très variables.
Le chercheur souhaiterait néanmoins pouvoir utiliser un nouveau produit administré par vaporisation buccale et qui inclut les 60 sortes de cannabinoïdes qui peuvent alors être isolés ou modifiés. Conçu par une firme britannique, ce produit devrait éventuellement être accessible au Canada pour la recherche.
On ne fume pas au labo
Ce détail sur la forme de THC utilisée dans les laboratoires jette un autre éclairage sur la portée de ces recherches. «Aucune étude clinique n’a jamais été réalisée à partir de la fumée de cannabis», affirme Pierre Beaulieu.
L’une des premières à être menées au Canada sera amorcée bientôt à l’Université McGill et elle sera financée par Santé Canada. On en est au même point aux États-Unis, où les National Health Institutes annonçaient, en juillet dernier, le démarrage des premières études sur les effets thérapeutiques de la marijuana fumée.
On ne sait donc pas de façon précise quelles sont les conséquences de cette forme d’absorption qui n’a, par le fait même, jamais été comparée avec les nouveaux analgésiques produits depuis 20 ans. Ceci jette un voile sur la portée de l’article du British Medical Journal. «Bien qu’il s’agisse d’un journal sérieux, les auteurs ont mal appliqué la méthode de la méta-analyse à un sujet qu’ils ne connaissaient pas, soutient Pierre Beaulieu. Leurs données dataient des années 70 et leurs conclusions sont erronées.»
Les auteurs déconseillaient, par exemple, l’usage du cannabis dans le cas de douleurs aiguës, mais ils ne disposaient que d’une seule étude effectuée sur 56 patients. Et cette étude, contrairement à ce qu’affirmait l’article, n’a pas comparé le cannabis avec la codéine mais avec un placebo. Dans le cas des douleurs chroniques non cancéreuses, les auteurs n’avaient recensé que deux études ne comportant chacune qu’un seul sujet!
«On ne peut déduire que le cannabis a peu d’effet sur la douleur à partir de telles données, conclut Pierre Beaulieu. Il faut procéder à de véritables études cliniques basées sur de vrais protocoles pour le savoir.»
Daniel Baril