Édition du 22 octobre 2001 / Volume 36, numéro 8
 
  Bioéthique: la fin justifie-t-elle les moyens?
La recherche sur les cellules souches embryonnaires suscite à la fois crainte et espoir.

De gauche à droite, Bartha Maria Knoppers, le Dr Grégoire Moutel, Élodie Petit et Christian Hervé.

De toutes les valeurs qui peuvent guider le débat éthique entourant la recherche sur les cellules souches embryonnaires, celle de la finalité thérapeutique devrait être déterminante.

C’est du moins l’avis du Dr Grégoire Moutel, du Laboratoire d’éthique médicale (LEM) de la Faculté de médecine de Paris-Necker. Le professeur était l’un des deux conférenciers invités, le 2 octobre dernier, au débat qu’organisait l’Institut international de recherche en éthique biomédicale (IREB).

En première partie, Élodie Petit, agente de recherche au Centre de recherche en droit public (CRDP), a fait un survol des lois relatives à la recherche sur les embryons dans différents pays. Au Canada, aux États-Unis et en France, ce type de recherche n’est permis que sur les embryons surnuméraires créés pour des besoins de reproduction; aux États-Unis, la nouvelle loi n’autorise plus de nouveaux prélèvements de cellules embryonnaires. En Angleterre et au Canada, les embryons ne doivent pas être âgés de plus de 14 jours et l’Angleterre n’autorise que les recherches sur la santé ou la contraception. Partout le consentement des donneurs est exigé.

Selon Mme Petit, ces lois cherchent à établir un équilibre entre le respect des embryons et le soulagement des maladies, le tout étant fréquemment réinterprété à la lumière des avancées de la science.

Repousser les limites

Le Dr Moutel soutient pour sa part que les médecins et les chercheurs ne doivent pas craindre de faire reculer les normes lorsque le progrès de la médecine est en cause. Les arguments invoqués pour s’opposer aux recherches sur les cellules souches embryonnaires lui paraissent de la même nature que ceux apportés il y a quelques décennies contre les greffes d’organes.

On parlait alors de profanation de cadavres, de transgression des interdits, de réification de l’être humain, d’eugénisme, autant d’expressions utilisées aujourd’hui contre l’utilisation des cellules embryonnaires ou du clonage thérapeutique.

Le Dr Moutel rejette donc l’argument avancé notamment par le généticien français Axel Khan, qui s’oppose au clonage thérapeutique parce que ce procédé comporte un risque de dérive vers le clonage reproductif ou vers la commercialisation des tissus humains. «On ne refuse pas les greffes d’organes sous prétexte qu’il se fait de la vente d’organes dans certains pays», rétorque Grégoire Moutel.

À son avis, les médecins acceptent les règles de contrôle et il est tout à fait possible d’éviter les dérives eugéniques en réglementant la recherche sur les embryons de la même façon qu’on a réglementé les greffes d’organes.

La même attitude serait à suivre en ce qui concerne le clonage de cellules. On ne peut refuser le clonage thérapeutique s’il conduit à l’amélioration de la santé, soutient le Dr Moutel, et l’on peut trouver acceptable le diagnostic préimplantatoire d’embryons tout en refusant la recherche sur des embryons.

La distinction entre les embryons surnuméraires conçus pour la reproduction et les embryons créés pour la recherche comporte par ailleurs une part d’arbitraire. «Du point de vue biologique, il n’existe aucune différence entre les deux», fait valoir le professeur. Plus de 50 % des embryons conçus pour des besoins de reproduction demeurent d’ailleurs inutilisés et sont donc disponibles pour la recherche selon les lois de plusieurs pays.

D’autre part, le recours aux cellules souches d’adultes n’apparaît pas comme une solution de rechange puisque ces cellules n’ont pas les mêmes propriétés que les cellules d’embryons.

Choix de société

Il y aurait en fait beaucoup de cacophonie dans le débat éthique et le discernement s’impose, selon Grégoire Moutel. «Ce débat concerne un choix de société et la finalité de la recherche. Il doit se dérouler dans la transparence et être basé sur des arguments rationnels et raisonnés plutôt que sur la stigmatisation des dérives et fausses fantaisies. L’éthique doit inclure la finalité de la pratique et il faut éviter de s’attarder à des interdits qui ne tiendront pas la route longtemps.»

Le coresponsable français de l’IREB, Christian Hervé, également directeur du LEM, a pour sa part souligné que les retombées thérapeutiques de la recherche sur les embryons et sur les cellules souches ne se feront sentir que dans 30 ans. De plus, «la transparence nécessite, de la part des médecins, une formation sur les finalités de la médecine alors qu’ils ne sont pas outillés pour jouer un tel rôle auprès du public», a-t-il soutenu.

Ce débat constituait la toute première activité de l’IREB, établi en mai dernier pour favoriser la coopération internationale dans le domaine de l’éthique biomédicale. La coresponsable de l’Institut pour le Québec est la professeure Bartha Maria Knoppers, de la Faculté de droit. Participaient également à l’organisation de l’événement la Chaire de recherche du Canada en droit et médecine et le projet Génétique et société du CRDP.

Daniel Baril



 
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