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Le métabolisme des toxiques varie selon les individus. La salle d’inhalation de la Faculté de médecine permet l’étude de ces variations. |
Les 16 diffuseurs de la salle d’inhalation répandent du toluène, du xylène et du styrène dans l’air que les sujets humains respirent. Ceux-ci sont assis autour d’une table et jouent aux cartes en discutant, sous l’œil attentif des chercheurs et des techniciens.
Inutile de s’inquiéter: la «chambre à gaz» du Pavillon principal n’est pas dangereuse. «Les concentrations sont toujours inférieures aux limites permises par les lois en vigueur», explique Robert Tardif, professeur au Département de santé environnementale et santé au travail et responsable de ce laboratoire unique au pays en milieu universitaire. Il est plus sécuritaire de se trouver dans cette salle où chaque centimètre cube d’air est soigneusement contrôlé que dans certains lieux de travail où les gens absorbent quotidiennement une concentration non négligeable d’hydrocarbures.
Mais alors, pourquoi une telle salle? Pour mesurer, notamment, à quel rythme les substances toxiques sont éliminées par le corps humain, explique M. Tardif, qui revient tout juste d’un congrès dans l’Ouest canadien qui a réuni 150 spécialistes de ce domaine. De plus en plus, on veut connaître les principes qui règlent l’absorption des substances toxiques.
Deux individus placés dans les mêmes conditions de laboratoire ne métabolisent pas de la même façon les produits toxiques qu’ils respirent, précise le toxicologue. «Il y a une variation biologique importante, et elle est encore mal comprise, explique M. Tardif. Des facteurs comme l’obésité, la charge de travail et l’exposition simultanée à plusieurs substances sont des éléments qui influent sur cette absorption.»
Les interactions mieux comprises
Les travaux menés avec des sujets humains dans la salle d’inhalation ont permis une percée, récemment, en ce qui concerne notre connaissance des interactions entre différents produits. Kannan Krishnan, Sami Haddad, Robert Tardif et Martin Béliveau ont publié un article majeur dans la revue Toxicological Sciences sur les façons de mesurer cet effet combiné. Leur article a fait l’objet d’une présentation spéciale dans les premières pages du numéro. Selon l’auteur Rory Conolly, l’approche des chercheurs de l’Université de Montréal permet d’étudier avec une plus grande précision les mécanismes d’action des toxiques et d’élaborer de meilleures méthodes quantitatives pour l’évaluation du risque.
L’observation du corps humain en action s’avère très souvent incontournable. Les États-Unis possèdent quelques laboratoires comme celui de l’Université de Montréal, mais l’unité d’inhalation serait la seule dans son genre au Canada. Construite grâce à un budget de 700 000 $, dont une grande partie financée par l’Université, elle a été terminée en 1989.
Cela dit, Robert Tardif, dont la recherche porte essentiellement sur les solvants, ne s’en tient pas qu’aux expériences sur des sujets humains. Les animaux lui sont également fort utiles, de même que la modélisation informatique. Ce dernier secteur est d’ailleurs en grande effervescence et l’accapare de plus en plus.
Les solvants rendent-ils infertile?
À quelques mètres de la salle d’inhalation, du matériel de plus petite dimension permet de mener des expériences d’inhalation sur des souris et des rats. Lors de la visite de Forum, un groupe de rongeurs était exposés depuis quelques heures au trichloréthylène.
«Ma recherche porte sur les liens entre le trichloréthylène et la fertilité, explique Véronique Nadeau, étudiante à la maîtrise au Département de santé environnementale et santé au travail. Notre hypothèse, c’est qu’une exposition à long terme à ce solvant peut mener à des problèmes d’infertilité.»
Les animaux sont exposés au solvant jusqu’à six heures par jour. Après l’expérimentation, l’étudiante dissèque les cobayes et mesure les concentrations du produit dans l’épididyme, les testicules et le foie.
Poh Gek Forkert, une chercheuse de l’Université Queen’s, en Ontario, a découvert qu’un nombre élevé de mécaniciens qui utilisent ce solvant (fort efficace pour le dégraissage de pièces métalliques) souffrent d’infertilité. Elle a fait appel à des collègues d’autres universités canadiennes pour l’aider à documenter son échantillonnage.
Bien entendu, il n’était pas question de vérifier une hypothèse pareille avec des sujets humains dans la salle d’inhalation. Mais les animaux de laboratoire pouvaient rendre de grands services. «Je suis très enthousiaste quant à mon sujet d’étude, dit Véronique Nadeau. C’est un projet de recherche très concret où l’on se sent utile pour la communauté.»
Il y a une vingtaine d’années, rappelle l’étudiante, le trichloréthylène était employé par les entreprises de nettoyage à sec. Mais devant les risques soulevés par les toxicologues, on a progressivement remplacé ce solvant par un nouveau produit, moins toxique. Parallèlement, les études se sont faites moins nombreuses. Et le solvant est aujourd’hui encore utilisé dans les garages et les ateliers de mécanique.
«Nos travaux ont indiscutablement une portée pratique, commente Robert Tardif. Même après que le ministère a adopté des normes auxquelles les entreprises doivent se soumettre, le travail ne s’arrête pas. Il faut continuer de mener des études sur l’exposition aux substances, découvrir de nouveaux marqueurs, etc.»
C’est un peu, en matière toxicologique, l’équivalent de la pharmacovigilance, soit l’étude des médicaments approuvés par les instances gouvernementales.
Mathieu-Robert Sauvé