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À l'aide d'un prototype, Michel Bertrand montre le fonctionnement de son pyrolyseur universel. |
Depuis un mois, les alertes à la «poudre blanche» et autres produits suspects mettent les services d’urgence sur le qui-vive. Même si aucune substance dangereuse n’a jusqu’ici été détectée à Montréal, les inconvénients provoqués par de telles situations sont eux-mêmes très perturbateurs et stressants: immeubles évacués, stations de métro fermées, circulation bloquée, travail paralysé, angoisse.
«Aux États-Unis, la panique et l’anxiété causées par la peur de l’anthrax font plus de dégâts que la contamination elle-même», lance Michel Bertrand. Professeur au Département de chimie, il a mis au point un appareil qui pourrait être très utile par les temps qui courent et éviter bien des désagréments aux services d’urgence ainsi qu’au public en général: un pyrolyseur capable de reconnaître presque n’importe quelle substance chimique ou organique en moins de deux minutes.
Le chercheur a même réussi là où l’armée américaine s’est cassé les dents. Fruit de recherches fondamentales en spectrométrie de masse amorcées il y a huit ans, le procédé vient d’être commercialisé par la firme Dephy Technologies, issue directement du groupe de recherche de Michel Bertrand.
Empreinte moléculaire
«Le procédé est fort simple, explique le chercheur. Le produit à analyser est introduit dans une chambre à vide où il est décomposé par la chaleur. Un spectromètre étudie ensuite les fragments pour tracer l’empreinte moléculaire du produit.» Après l’analyse, l’appareil imprime l’empreinte et un signal lumineux indique s’il s’agit d’un produit dangereux ou inoffensif.
La réussite du procédé réside dans la pyrolyse (décomposition par la chaleur) effectuée sous vide, ce qui évite la combustion et la contamination. Même si la température peut être portée à plus de 1000 0C, la chaleur entraîne uniquement une rupture des liens chimiques entre les différents éléments. L’empreinte est obtenue à partir de divers biomarqueurs comme l’ADN pour un produit biologique ou les composants moléculaires ou atomiques pour une substance chimique.
Le grand mérite de l’appareil est qu’il est universel; il peut servir à détecter aussi bien la présence de la bactérie E-coli dans l’eau que celle du bacille du charbon sur de la poudre ou à reconnaître tout produit chimique solide, liquide ou gazeux.
Commercialisé sous le nom de Py-MAB-Tof, le pyrolyseur a été mis au point à la demande de l’armée française, puis la Food and Drug Administration des États-Unis s’y est intéressé pour des besoins de sécurité civile. «Depuis 1998, les forces armées craignaient des attaques bioterroristes mais ne possédaient rien pour identifier rapidement les divers contaminants possibles, souligne le professeur. Les méthodes biologiques sont trop ciblées et nécessitent des cultures qui peuvent être longues.»
Lorsque du gaz lacrymogène a été répandu à la station de métro Berri-UQAM et a incommodé près de 200 personnes en septembre dernier, il a fallu cinq heures aux spécialistes pour reconnaître le gaz en question. Le pyrolyseur de Michel Bertrand aurait pu identifier la substance en 90 secondes! Au cours de tests, l’appareil a détecté dans le même laps de temps la bactérie E-coli dans des échantillons d’urine contaminés.
Pour être fonctionnel, l’appareil doit bien sûr posséder en mémoire les empreintes de produits suspects, ce qui ne semble pas trop faire problème puisque ces produits sont connus.
Dans le cas de substances biologiques, l’empreinte est toujours assez fidèle pour repérer la source même s’il y a eu modification ou mutation du produit. Si par exemple une nouvelle souche de la bactérie du charbon était utilisée, le pyrolyseur pourrait toujours indiquer de quelle espèce il s’agit et donner l’alarme. «Des analyses humaines plus poussées seraient toutefois nécessaires pour identifier clairement la souche», précise Michel Bertrand.
En plus des pompiers et des services de protection civile, les hôpitaux pourraient aussi être équipés d’un tel appareil et éviter, selon le chercheur, les recours inutiles aux antibiotiques à des fins purement préventives lorsque le trouble n’est pas encore établi.
L’appareil, pesant 70 kg et mesurant environ 60 cm de côté, n’est toutefois pas à la portée de toutes les bourses: il se détaille actuellement 250 000 $ l’unité. «Ce coût peut rapidement être épongé si l’on évite les évacuations inutiles et le stress qui perturbe le travail», estime le concepteur, qui souligne qu’une production le moindrement accrue pourrait abaisser le prix de moitié.
Daniel Baril