Édition du 29 octobre 2001 / Volume 36, numéro 9
 
  L'œil et le cerveau en observation
Grâce à l'imagerie cérébrale, Maurice Ptito explore l'organe le plus complexe du corps humain.

Pour le professeur Maurice Ptito, le cerveau est une fabuleuse machine à percevoir le monde. Et dans cette machine, rien n’est plus fascinant que le système visuel.

Une voiture qui se dirige vers nous semble rouler plus rapidement à mesure qu’elle se rapproche même si le conducteur maintient une vitesse constante. Ce type de perception, qui sollicite une activation neuronale importante dans la voie dorsale du cerveau (partie supérieure du cortex), pourrait s’expliquer par la sélection naturelle.

C’est du moins l’hypothèse émise par Maurice Ptito, professeur à l’École d’optométrie. «La survie de l’individu est davantage en jeu lorsque les dangers potentiels viennent vers lui», allègue le neuropsychologue. En collaboration avec Jocelyn Faubert, également de l’École d’optométrie, et des chercheurs de l’Université d’Århus, au Danemark, M. Ptito a mené une étude sur le flux optique. La théorie à l’origine du phénomène repose sur le fait que notre perception de la vélocité des objets change selon la distance.

«Ce qu’on a démontré, dit-il, c’est que le cerveau est plus actif lorsqu’une image visuelle s’approche du sujet comparativement à une autre qui s’en éloigne.» Les résultats de cette recherche seront prochainement présentés dans la revue scientifique NeuroImage, une publication consacrée à l’imagerie cérébrale. Il s’agira du 100e article scientifique en carrière pour le professeur Ptito.

L’humain in vivo

C’est en utilisant la tomographie par émission de positrons, une technique d’imagerie cérébrale capable de mesurer le débit sanguin, qu’il a pu déterminer les zones du cerveau activées dans le traitement de la perception du mouvement. «Cette méthode part du fait que les cellules consomment de l’oxygène. Le principe est relativement simple: plus il y a de cellules en action dans une région cérébrale, plus grand est le flux de sang, explique M. Ptito. Ainsi, en mesurant les variations du flux sanguin, on peut distinguer quelles sont les régions du cerveau qui traitent l’information.»

Les sujets, sur lesquels est fixé un cathéter veineux, reçoivent d’abord une injection d’eau mêlée d’oxygène 15, une substance radioactive. Ils sont ensuite placés dans l’appareil de tomographie et soumis à des stimulus visuels complexes.

Pour Maurice Ptito, l’imagerie cérébrale est plus qu’une machine à regarder dans la tête. «C’est la seule approche qui permet de voir le cerveau en action, souligne le chercheur membre de la Société royale du Canada. On peut ainsi regarder l’humain in vivo.»

Un cerveau qui aime les cerveaux

Avec l’apparition de l’imagerie médicale, la recherche dans le domaine des neurosciences a connu une véritable effervescence. L’engouement est tel que près de 30 000 chercheurs se donnent chaque année rendez-vous au congrès de la Society for Neuroscience.

Spécialiste de la plasticité neuronale, Maurice Ptito est l’un de ces admirateurs du cerveau… même quand ce dernier est lésé. «La pathologie nous renseigne sur la façon dont le cerveau normal fonctionne», signale-t-il. Ses travaux sur l’adaptabilité du cerveau quand un sujet perd la vue ont été retenus par le magazine Québec Science parmi les 10 découvertes de l’année 2000 (voir le numéro de Forum du 25 septembre 2000).

Engagé par l’Université en 1988, le professeur Ptito, également chercheur associé à l’Institut neurologique de Montréal, s’intéresse depuis 1996 à l’imagerie cérébrale. Grâce à cette technologie, M. Ptito et son collègue Jocelyn Faubert ont fait une autre découverte majeure. Dans un article paru récemment dans NeuroImage, les scientifiques mettent en évidence, pour la première fois, le rôle du pulvinar dans la plasticité cérébrale. «Cet organe situé dans le thalamus peut prendre le relais dans la transmission de l’information lorsqu’une partie du cortex visuel est endommagée», explique M. Ptito.

Pour mener cette recherche, les chercheurs ont eu recours à un sujet connu dans la littérature scientifique sous le nom de P.K. Cette dame, atteinte d’épilepsie, avait perdu la moitié de son champ visuel, le gauche, à l’âge de deux ans. P.K. avait alors été soumise à un examen périmétrique et déclarée cliniquement aveugle. Pourtant, une quinzaine d’années plus tard, les chercheurs ont observé un recouvrement de la vue. «L’imagerie cérébrale a permis de démontrer que la partie récupérée était traitée par le pulvinar, un organe sous-cortical. Normalement, le traitement du champ visuel passe par les voies primaires pour se rendre au cortex», indique le professeur Ptito.

Fasciné par l’extraordinaire capacité d’adaptation du cerveau, le neuropsychologue poursuit des travaux avec des collaborateurs partout dans le monde sur les structures cérébrales qui sous-tendent la perception visuelle. Ses recherches sont financées par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, le Fonds pour la formation de chercheurs et l’aide à la recherche et les Instituts de la recherche en santé du Canada.

Le cerveau en relief

Lorsque vous apercevez un papillon de nuit sur un tronc d’arbre, votre cerveau fait appel à la stéréoscopie visuelle pour distinguer le relief et la profondeur des objets. «Sans elle, vous pourriez difficilement voir la troisième dimension, soutient le neuropsychologue Maurice Ptito. Le monde vous paraîtrait aplati comme sur une photo.»

Sous la direction de M. Ptito, professeur à l’École d’optométrie, et de son frère Alain, clinicien à l’Institut neurologique de Montréal, une étudiante au doctorat en neuropsychologie, Audrey Fortin, a rédigé une thèse sur le sujet. La chercheuse a eu recours à l’imagerie cérébrale pour visualiser les aires du cerveau activées pendant le traitement de la stéréoscopie.

«Il s’agit d’une fonction cérébrale et non oculaire, précise Maurice Ptito, qui étudie depuis 15 ans la façon dont le cortex traite l’information visuelle. La stéréoscopie est la capacité du cerveau de produire une impression de relief et de profondeur à partir des images captées par les yeux.» Dans cette étude, il s’agissait d’illusions optiques comparables à des stéréogrammes. Maurice Ptito a fait appel à l’expertise du psychophysicien Jocelyn Faubert, professeur à l’École d’optométrie, pour l’élaboration de ces stimulus.

Le phénomène de la stéréoscopie, en apparence simple, est complexe, car l’écart pupillaire produit deux points de vue différents. Pour contrer cette disparité, le cerveau doit effectuer un traitement de correspondance des images. Ainsi, même si la texture d’un objet est pareille à celle d’une image située en arrière-plan, il nous est possible de décoder l’effet de camouflage. Par exemple, notre papillon de nuit sur le tronc d’arbre.

Mais comment le cerveau traite-t-il cette disparité? Cette question est au cœur de la recherche réalisée par Audrey Fortin. Pour l’instant, la technologie ne permet pas de comprendre le processus d’intégration de l’information visuelle. On peut cependant déterminer quels sont les circuits du cerveau qui sont activés dans l’encodage.

La chercheuse a ainsi démontré que les régions dites «extrastriées», notamment l’aire temporale médiane, jouent un rôle actif dans le traitement des indices de la profondeur et du relief. Par contre, l’aire visuelle primaire, localisée dans le lobe occipital (zone striée du cortex), participe très peu à ce type d’analyse.

L’étude, menée auprès d’une quinzaine de sujets âgés de 20 à 30 ans, confirme donc que le traitement de la disparité visuelle s’effectue principalement par la voie dorsale, soit dans la partie supérieure du cerveau. «Les résultats corroborent les travaux faits chez le singe, signale M. Ptito. Mais personne ne l’avait encore démontré chez l’humain.»

Dominique Nancy



 
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