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Michel Seymour lance cette semaine Le pari de la démesure, à l'Hexagone, un ouvrage sur l'«intransigeance canadienne envers le Québec». |
Il pleut du Canada sur le Québec.» Ainsi le philosophe Michel Seymour décrit-il les différentes opérations de relations publiques signées Ottawa qui ont déferlé sur le Québec au cours des dernières années. L’attribution des bourses du millénaire, la distribution massive d’unifoliés par la ministre Sheila Copps et la diffusion à Radio-Canada de la série
Le Canada: une histoire populaire sont des exemples de cette offensive qui fait l’éloge du «meilleur pays du monde». Mais les Québécois ne sont pas dupes de cette «propagande» et, s’ils sont franchement exaspérés par les débats constitutionnels, ils n’ont pas mis fin à leur volonté d’autodétermination. Le 11 septembre et ses suites n’auront fait que repousser les échéances.
«Les Québécois aimeraient que leur identité nationale disparaisse sous le tapis pour qu’eux-mêmes ne la voient plus, signale le professeur du Département de philosophie. Mais à long terme, la question de l’autodétermination politique refera surface et il faudra lui trouver une solution. Les opérations de propagande d’Ottawa ne seront d’aucun effet.»
Fondateur, avec d’autres penseurs engagés, du réseau Intellectuels pour la souveraineté, dont il a été le président de 1995 à 1999, M. Seymour n’a pas peur d’affirmer sous quelle bannière il se range. Le Canada, très peu pour lui. Le pari de la démesure, son dernier livre qui paraît aujourd’hui à l’Hexagone, dénonce «l’intransigeance canadienne envers le Québec». Il s’agit d’un ouvrage de «philosophie politique appliquée» («comme on parle d’éthique appliquée», précise-t-il) qui prend pour exemple le conflit des nationalismes canadien et québécois. Il aurait pu traiter de n’importe quel autre pays où deux majorités s’affrontent et se confrontent, mais le cas du Québec et du Canada lui semblait parfaitement indiqué. Parce qu’il ressent pour l’avenir du Québec une «préoccupation, sinon une angoisse grave».
Le pari de la démesure n’est pas ce qu’on appelle un livre savant, même s’il est plus difficile d’accès que le précédent ouvrage de Michel Seymour, La nation en question. Mais il n’est pas destiné aux seuls universitaires. «Je trouvais important de proposer une analyse un peu fouillée des récents événements qui ont voulu mettre le Québec à sa place.»
Nation civique contre nation ethnique
L’auteur y présente sa version de plusieurs situations à travers lesquelles «l’intransigeance canadienne» s’est manifestée. Un long chapitre porte par exemple sur l’avis de la Cour suprême du Canada à propos du droit du Québec de proclamer son indépendance. Cet avis est un document politique d’une «magistrale ambivalence», selon son expression, qui fera école dans la littérature savante. «On a demandé unilatéralement à des juges nommés unilatéralement par Ottawa si le Québec pouvait faire sécession. Réponse: oui, mais pas unilatéralement!»
Au cours des dernières années, M. Seymour s’est beaucoup interrogé sur le concept de citoyenneté; en plus d’écrire sur ce thème, il a été responsable du colloque «Nationalité, citoyenneté et solidarité», tenu à la maison de la culture Côte-des-Neiges en mai 1998. L’an dernier, il a présidé la commission sur la citoyenneté pour le Bloc québécois.
Le sens qu’on donne au nationalisme est aussi pour lui matière à réflexion. Une communauté humaine est une «nation» si elle répond à certaines conditions liées à la langue et à la philosophie politique. Par opposition, le nationalisme «ethnique» définit la nation d’après des critères d’origine ethnique, voire de race, qui ne correspondent pas à la réalité québécoise. «Depuis les années 60, les Québécois se disent de moins en moins des “Canadiens français”, car ils savent qu’ils ne sont pas tous issus des mêmes souches. Aujourd’hui, ceux qui utilisent cette épithète sont une minorité. Malgré cela, il y a de nombreux intellectuels qui continuent de dire que le nationalisme québécois est ethnique.»
Cela dit, le processus de conversion vers le nationalisme civique est lent et semé d’embûches. Ainsi, la célèbre sortie de Jacques Parizeau au soir de la défaite référendaire de 1995 serait, selon M. Seymour, un accident de parcours sur la route vers le nationalisme civique. «Je lui ai envoyé une copie de mon chapitre à ce sujet, dit-il. Je suis curieux de savoir s’il partage ma vision des choses. Mais je n’en ai pas eu de nouvelles.»
Obsédé par la communauté
Chargé des cours Philosophie anglo-américaine, Philosophie du langage et Philosophie politique contemporaine, obligatoires au baccalauréat en philosophie, en plus des séminaires de deuxième et troisième cycle qu’il anime, Michel Seymour s’est fait connaître au ces dernières années par ses écrits et conférences sur les droits collectifs, le langage et la notion de communauté. Il mène actuellement des recherches financées par le Conseil de recherches en sciences humaines sur la théorie des droits collectifs et fait partie d’une équipe FCAR sur le langage, l’innéité et l’interprétation. Équipe à laquelle sont rattachés Jim McGilvray, de l’Université McGill, et Dave Davies, et pour laquelle Noam Chomsky a signé une lettre de recommandation.
«Si je dois résumer ma pensée en une phrase, je dirais que j’ai une obsession maladive pour la communauté», dit en riant l’intellectuel engagé dont la bonne humeur est communicative. Il reprend, après réflexion: «Vous pouvez retirer le mot “maladive”?»
On trouve un résumé de sa contribution scientifique à l’adresse http://pages.infinit.net/mseymour.
Mathieu-Robert Sauvé