La diminution du tabagisme au Québec est l’une des grandes victoires des spécialistes de la santé publique: on est passé de 55 % de fumeurs dans les années 70 à moins de 30 % 20 ans plus tard. «Mais peut-on parler de victoire quand on sait que, chez les personnes qui ont moins de cinq ans de scolarité, 60 % fument encore?» s’interroge Louise Potvin, titulaire de la Chaire sur les approches communautaires et inégalités de santé, qui est lancée cette semaine.
Oui, les campagnes de prévention contre le tabagisme ont porté leurs fruits, reprend Mme Potvin: diminution des hospitalisations dues au tabac, baisse des cas de cancer du poumon chez l’homme, régression de la mortalité causée par la cigarette. Mais ce qu’on dit moins, c’est que ces résultats sont nettement plus spectaculaires dans les classes moyennes et aisées. Dans les milieux défavorisés, les gains sont faibles. «Cela nous place devant un paradoxe, dit Mme Potvin: la santé publique sert-elle principalement les mieux nantis et, par conséquent, accroît-elle les inégalités sociales en matière de santé? On peut se poser la question.»
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Louise Potvin en convient: vaut mieux être riche et en santé que pauvre et malade… Il faut donc intervenir plus efficacement dans les quartiers défavorisés. |
Psychologue de formation, Louise Potvin procède depuis 15 ans à l’évaluation des retombées des programmes de santé publique. Professeure au Département de médecine sociale et préventive et chercheuse au Groupe de recherche interdisciplinaire en santé, elle connaît bien ce qu’elle appelle le «gradient de la santé». Qu’est-ce que ce gradient? Un indicateur de la variation entre le niveau de vie et l’état de santé. «Plus on est riche, plus on est en santé, plus on vit longtemps», résume-t-elle.
Selon ce principe, les maladies cardiovasculaires, le diabète et même l’asthme apparaissent de façon plus sévère et sont plus fréquents à mesure qu’on explore les strates plus pauvres de la population. On y trouve aussi plus de bébés de petit poids… et de cigarettes. Le cancer du sein serait l’une des rares maladies à échapper à cette règle puisqu’il semble frapper les femmes de toutes les classes.
De la recherche «avec»
À la suggestion de la Direction de la santé publique de Montréal-Centre, Mme Potvin veut aller voir dans les milieux défavorisés de quelle façon on pourrait parvenir à modifier les comportements à risque. «Nous voulons faire de la recherche avec la communauté. Cela signifie que nous ne considérerons pas les gens comme des statistiques et que nous ne ferons pas une recherche-action, où les chercheurs tentent de changer eux-mêmes les choses. Nous allons plutôt partir de leurs préoccupations, de leur réalité, pour mener nos travaux. Cela permettra de mieux connaître le milieu d’intervention.»
Mme Potvin est déterminée à travailler étroitement avec les organismes communautaires des quartiers défavorisés. «Il faut aller où les gens vivent», dit-elle.
La chaire occupée par Mme Potvin est la deuxième à être accordée à un chercheur de l’Université de Montréal par la Fondation canadienne de recherche sur les services de santé. L’autre est occupée par Jean-Louis Denis, du Département d’administration de la santé. Au Canada, cette fondation en a attribué 12 seulement.
Trois autres partenaires sont engagés dans ce projet: la Direction de la santé publique de Montréal-Centre, le Fonds de la recherche en santé du Québec et l’Université de Montréal. Cette dernière a accepté de créer un poste en remplacement de Mme Potvin pour que celle-ci se consacre à temps plein à ses travaux de recherche.
La Chaire dispose d’un budget de quatre millions sur 10 ans. Trois stagiaires postdoctoraux ont déjà commencé leurs travaux auprès de Mme Potvin; ils ont une expertise en anthropologie, sociologie et sciences politiques. Elle-même possède une expérience interdisciplinaire. Elle a obtenu un baccalauréat et une maîtrise en psychologie, un doctorat en santé publique et a fait son postdoctorat sur l’évaluation de programmes.
Mathieu-Robert Sauvé