Édition du 5 novembre 2001 / Volume 36, numéro 10
 
  Heureux comme un saumon dans l’eau
Daniel Boisclair cherche à prévoir les effets de la variation du niveau de l’eau sur l’habitat du saumon.

Eva Enders, étudiante au doctorat dirigée par le professeur Daniel Boisclair, mesure la quantité d'énergie dépensée par les jeunes saumons dans le bassin à sa droite où elle peut modifier le débit et la turbulence de l'eau.

Alors que tous s’inquiètent du niveau anormalement bas du Saint-Laurent, Daniel Boisclair se fait rassurant. «La baisse du niveau de l’eau dans les rivières et dans le fleuve n’est pas alarmante, explique-t-il. Il y a toujours eu des périodes plus sèches et d’autres humides ou pluvieuses et il est très difficile de savoir si les changements climatiques sont dus à l’activité humaine.»

Disant ne pas être du genre à s’inquiéter, le professeur du Département de sciences biologiques estime qu’il vaut mieux essayer de prévoir ce qui peut arriver et se donner les moyens d’intervenir correctement. C’est d’ailleurs la tâche à laquelle il se consacre en élaborant des outils de gestion des rivières à saumon, poisson emblématique du point de vue tant économique qu’environnemental.

«Le saumon a des mœurs étonnantes qui l’amènent de l’eau douce à l’eau salée, puis de nouveau à l’eau douce, l’obligeant chaque fois à une adaptation physiologique importante. Il est aussi le symbole d’une rivière limpide et d’un environnement sain.»

Grâce aux connaissances accumulées au cours des années sur les habitudes de ce poisson, Daniel Boisclair a pu mettre au point des modèles qui permettent de prévoir les conséquences des fluctuations des niveaux de l’eau sur l’habitat des saumons. On sait par exemple que le jeune saumon préfère une rivière de 0,5 m de profondeur, avec un débit de 50 cm à l’heure et un lit de cailloux de 10 à 15 cm.

Portion de la rivière Sainte-Marguerite montrant la qualité des habitats du saumon en fonction d’un débit de 3,2 m3 à la seconde. Les zones orange et jaunes sont les plus favorables au poisson alors que les violettes et les roses lui sont les plus défavorables.

«En combinant ces caractéristiques majeures pour le saumon et en sachant qu’il nage dans un territoire de 10 à 20 m, on peut arriver à évaluer la qualité de son habitat. En connaissant aussi son comportement et sa dispersion spatiale selon les saisons et les périodes de frai, on peut faire des projections quant à la densité de poissons d’une rivière.»

Le type de modèle mis au point par le professeur Boisclair permet de prévoir les conséquences d’une diminution ou d’un apport supplémentaire d’eau sur des portions de rivière à une échelle aussi précise que 10 m. Dans le cadre de ses travaux, un de ses étudiants au doctorat, Jean-Christophe Guay, a entièrement modélisé une section de 750 m du lit et des contours de la rivière Sainte-Marguerite, au Saguenay, afin d’observer les effets combinés des diverses caractéristiques du cours d’eau.

Le modèle est en voie d’être perfectionné notamment par les travaux de doctorat d’Éva Enders, qui cherche à mesurer la quantité d’énergie dépensée par le saumon (en fonction de la consommation d’oxygène) selon divers degrés de turbulence et de débit de la rivière.

L’étude de ces tacons en aquarium permet de mieux connaître l’habitat que recherche le saumon. 

«Les cartes qu’on peut tracer permettent immédiatement de voir quelle serait l’incidence de l’établissement d’un barrage ou d’un pont sur la rivière et de déterminer à quel endroit la construction serait le moins dommageable pour l’habitat du saumon, souligne M. Boisclair. Un tel outil nous montre aussi quels aménagements s’avéreraient les plus positifs pour l’habitat du poisson.»

Ce modèle, plus précis que ceux utilisés par Hydro-Québec pour ses études d’impact, ne permet toutefois pas de recréer une rivière sur toute sa longueur. Le professeur cherche plutôt à découper le cours d’eau en différents segments qui représenteraient l’ensemble des habitats qu’on y retrouve. «Nous posséderions ainsi des données pouvant être appliquées à l’ensemble de la rivière.»

Avec l’attention qu’on lui accorde, notre saumon n’a pas à se tracasser pour les baisses du niveau de l’eau et peut continuer à vivre heureux comme un poisson dans l’eau.

Daniel Baril



 
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