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Amélie Doray a remporté le prix du meilleur mémoire de maîtrise du Département de sociologie. |
Ceux qui étaient âgés de 25 à 35 ans en 1998 semblent faire les frais des modes de vie adoptés dans les années 80 pour faire face à la crise économique. Cette génération, qu’on a qualifiée de génération X ou sacrifiée, maintient en effet une plus grande dépendance socioéconomique que la génération précédente alors que celle qui suit semble opter pour des stratégies différentes.
C’est ce que montre l’analyse des données de Statistique Canada (Enquête sur les finances des consommateurs) à laquelle s’est livrée Amélie Doray pour sa recherche de maîtrise et qui lui a valu le prix du meilleur mémoire du Département de sociologie pour l’année 2000-2001.
Amélie Doray a comparé l’évolution des habitudes de vie par rapport au travail, au type de cohabitation et aux études au sein de deux groupes d’âge (les 15-24 ans et les 25-34 ans) entre 1981 et 1998.
La jeunesse comme «espace social»
«Le mode de vie adopté par ceux qui étaient dans la vingtaine au début des années 80 a modifié le modèle de la jeunesse, affirme l’étudiante. Par rapport à la génération précédente, ils sont demeurés plus longtemps chez leurs parents et ont travaillé pendant leurs études. Le travail a entraîné un taux de décrochage élevé et ils ont éprouvé plus de difficultés à s’insérer de façon établie dans le marché du travail. Plusieurs ont aussi alterné entre l’indépendance résidentielle et le retour chez les parents.»
Le phénomène a été suffisamment important pour que les chercheurs proposent une redéfinition de la jeunesse; définie comme une période entre l’enfance et l’âge mûr, elle est apparue comme un «espace social» où le jeune s’installait de façon plus arrêtée et adoptait des modes de vie hybrides.
Que sont devenus ces jeunes à l’approche de la trentaine? Deux phénomènes marquants les caractérisent. D’une part, le travail intermittent a continuellement augmenté entre 1981 et 1998, touchant tous les groupes d’âge, y compris les diplômés universitaires, et atteignant des proportions jugées inquiétantes chez les 25-34 ans.
D’autre part, le pourcentage de jeunes qui résident chez leurs parents est lui aussi en croissance constante. Cette augmentation n’est pas nécessairement liée à la situation économique puisque le phénomène touche également ceux qui ont un emploi à temps plein. Parmi ces travailleurs établis, âgés de 25 à 29 ans, la proportion de ceux qui demeuraient au domicile familial est passée de 11,4 % à plus de 19 % entre 1981 et 1998, même chez ceux qui possèdent un diplôme d’études postsecondaires. Les 30-34 ans n’échappent pas à la tendance, avec un taux qui a plus que doublé, passant de 3 % à 6,8 %.
Amélie Doray a aussi observé, chez ceux qui ont quitté le foyer parental, une diminution du nombre de couples au profit d’un mode d’habitation en solitaire ou avec colocataires. Le pourcentage de ces foyers est passé de 15 à 19,5 chez les 30-34 ans.
Aux yeux de l’étudiante, la proportion croissante de ceux qui conservent ces caractéristiques propres à l’adolescence indique que le mode de vie hybride adopté par les jeunes dans les années 80 les a maintenus dans la «spirale de la dépendance».
Ce portrait touche davantage les hommes que les femmes. Toute proportion gardée, ils sont plus nombreux à vivre chez leurs parents alors que les femmes sont plus nombreuses à rechercher l’autonomie résidentielle même lorsqu’elles sont sans emploi. Les femmes qui font des études universitaires voient également leur employabilité augmenter alors que celle des hommes qui ont atteint une même scolarité diminue.
Par ailleurs, plus les femmes sont scolarisées, moins elles vivent en couple. Amélie Doray avance ici trois hypothèses: les femmes professionnelles seraient moins recherchées par les hommes; à l’inverse, les femmes seraient plus sélectives et rechercheraient davantage les hommes plus scolarisés; ou encore ces femmes auraient moins besoin du couple pour assurer leur autonomie.
Autre génération, autres stratégies
Les données révèlent de plus que la nouvelle génération, soit les jeunes âgés de 15 à 24 ans à la fin des années 90, n’opte pas pour les mêmes stratégies que la génération précédente et qu’elle délaisse notamment le travail pendant les études.
Alors que 57,7 % des jeunes de 20 ans étaient sur le marché du travail en 1981, ils étaient moins de 50 % dans la même situation en 1998. Par ailleurs, la proportion des jeunes de cet âge qui poursuivaient des études est passée de 19,5 % en 1981 à 38 % en 1998.
Le fait de miser exclusivement sur les études a pour conséquence que les jeunes de 20 ans en 1998 étaient encore plus nombreux à vivre chez leurs parents que ceux de la génération précédente: la proportion est passée de 70,4 % à plus de 75 %.
Amélie Doray avance de nouveau trois hypothèses non exclusives pour expliquer ces différences intergénérationnelles: les jeunes ont pu observer les difficultés d’insertion éprouvées par leurs aînés et ont misé davantage sur les études; ou bien les conditions économiques offrent de meilleures perspectives d’emploi aux plus scolarisés; ou encore les parents des jeunes ayant passé le cap de la vingtaine à la fin des années 90 sont plus à l’aise financièrement et peuvent mieux soutenir leurs enfants aux études.
Les différences de modes de vie entre ces deux générations lui paraissent suffisamment importantes pour suggérer aux chercheurs de revenir à la notion de jeunesse comme période de transition.
Daniel Baril