Édition du 12 novembre 2001 / Volume 36, numéro 11
 
  Étudiante et restauratrice d’icônes
Pour Pamela Chrabieh, l’icône est un instrument de communication d’une importance historique, culturelle et spirituelle.

Datée du 18e siècle, cette icône de la Vierge de Kikkos (région de Chypre), dont Pamela Chrabieh exhibe une reproduction, a nécessité trois mois de travail qui lui ont redonné son éclat d’origine.

L’Ancien Testament interdit de représenter ce qui n’a pas été vu par des yeux d’hommes: c’est pourquoi Dieu ne figure jamais sur les tableaux. Mais la venue sur terre de Jésus de Nazareth a permis l’épanouissement d’un art religieux où le fils de Dieu occupe une place de vedette. «Les icônes s’attachent à montrer la réalité des saints et les grands événements de la liturgie, souligne Pamela Chrabieh, étudiante au troisième cycle à la Faculté de théologie. En plus d’être des œuvres d’art magnifiques, elles sont des véhicules visuels de messages sacrés et culturels.»

Mme Chrabieh ne fait pas qu’étudier les icônes dans le cadre de son doctorat, elle s’applique à restaurer les Christ en croix, Vierge et l’Enfant, anges célestes et autres saints des Écritures. Le terme «icône», du mot grec eikon signifiant «image», est généralement réservé à un dessin peint sur un panneau de bois. Les plus précieuses datent du 6e siècle jusqu’au 19e et ont été très abîmées par le temps.

Ces dernières années, l’étudiante a restauré une quinzaine d’icônes des 17e, 18e et 19e siècles. Formée selon la méthode du père Antoine Lammens, restaurateur de réputation mondiale attaché aux Musées de France, Pamela Chrabieh considère chaque icône à restaurer comme un malade à soigner. «On nous appelle “les médecins des icônes”.» Cette comparaison avec le domaine médical est symbolique de l’approche scientifique qui sous-tend le travail de restauration et de conservation de ces objets d’art. «Des règles et un code de déontologie régissent le travail du restaurateur dont le but est de parvenir le plus près possible de l’image d’origine tout en préservant l’histoire de l’icône», affirme Mme Chrabieh.

Pour la jeune femme de 24 ans, l’archange Michel occupe une place de choix. La première icône qu’elle a restaurée pendant ses études à l’Institut de restauration des icônes de l’Université de Balamand, au Liban, représentait ce saint protecteur. «Les écoles iconographiques byzantines, grecques, coptes et russes réservent une place particulière à ce prince des anges, signale la théologienne. Il est le chef des armées célestes.»

Travail de bénédictin

Sur la reproduction que montre à Forum Pamela Chrabieh, l’archange Michel est vêtu d’un habit de cavalier guerrier, une épée à la main droite. «Il s’agit probablement d’une œuvre peinte par un iconographe syrien de la fin du 17e siècle. Le support en thuya, un bois surtout utilisé en Égypte et en Éthiopie, témoigne des échanges avec le monde copte d’Alexandrie.»

Après sa restauration, la valeur de cette icône de l’archange Michel a presque doublée, est passée de 200 000 $ à plus de 300 000 $.

L’icône du saint protecteur, qui appartient à l’évêché grec orthodoxe du mont Liban, était très endommagée du côté gauche. «Un mastic à base d’huile, de colle et de sciure de bois avait été appliqué à cet endroit par un artisan afin de camoufler la dégradation de l’œuvre, raconte Mme Chrabieh. Cette mixture empiétait sur la couche picturale originale et attaquait les glacis par son acidité élevée.» Après la restauration, qui a pris plus de six mois, la valeur de l’icône a presque doublé, passant de deux à plus de trois cent mille dollars. Une icône crétoise du début du 17e siècle (La rencontre de Jésus avec saint Jean-Baptiste) sur laquelle Mme Chrabieh a travaillé pendant près de deux ans a été estimée à plus de trois millions après la restauration.

«Chaque icône est un cas unique et exige maintes analyses chimiques et tests électromagnétiques, dont des radiographies et des examens aux rayons ultraviolets et infrarouges. Cette préparation, qui permet de déterminer les matériaux utilisés dans la production de l’œuvre, est nécessaire pour situer chronologiquement, géographiquement et historiquement l’icône à restaurer», allègue l’artiste. Elle est également indispensable pour pouvoir poser un diagnostic et proposer un traitement. «Ce dernier est provisoire; il change au fur et à mesure que le processus de restauration évolue.»

La restauration d’une icône est un travail de bénédictin. Selon les altérations et leurs causes, le restaurateur doit parfois fixer plusieurs fois l’enduit de craie qui recouvre la toile de lin sur le panneau de l’icône. «Le “refixage” est une opération qui consiste souvent à injecter, à l’aide d’une seringue, des collagènes d’origine animale dans cette préparation. Avec une spatule chauffante, la surface de l’œuvre, préalablement protégée avec un papier spécial, est ensuite aplatie afin de fixer les soulèvements de la couche picturale et de la préparation», explique Mme Chrabieh.

Il faut ensuite nettoyer la couche protectrice. Le restaurateur déloge la saleté, la cire et les autres résidus à l’aide de solvants spéciaux et d’un scalpel, ce qui exige une grande dextérité et une patience d’ange. Vient par la suite l’allègement de cette couche noircie ou jaunie. «Sans pousser au dévernissage, il faut amincir la couche pour lui redonner sa fonction de protection et d’optique», signale la restauratrice. Enfin, pour raviver les coloris, on étend de minces aplats de peinture et des glacis avec un fin pinceau.

«L’application ne doit pas être illusionniste. Il est important de respecter l’identité de l’icône, son harmonie et ce qui constitue son unicité», écrit l’étudiante dans le dernier numéro de Dire, la revue des cycles supérieurs de l’Université de Montréal.

Le ravage des insectes

Depuis le concile de Nicée II, en 787, la vénération des icônes est légitimée au même titre que celle de la croix ou du livre des Évangiles. Du moins pour les chrétiens. Le culte des images pieuses s’est développé à une époque où la majorité des fidèles ne savaient ni lire ni écrire. Ils ne connaissaient la Bible que pour l’avoir entendu réciter au cours des offices. Comme une image vaut mille mots, l’icône est devenue une source d’enseignement, une sorte de «catéchisme en bande dessinée», selon l’expression de l’étudiante.

«Chaque couleur, chaque détail iconographique est significatif, soutient-elle. Par exemple, le rouge symbolise la divinité et la royauté alors que le blanc reflète une paix intérieure. Les iconographes russes utilisaient beaucoup le blanc pour illuminer les visages de ceux qui avaient rencontré Dieu.»

Dans l’icône, la lumière diffuse émane d’abord des personnages. Mais l’icône elle-même est par essence claire et lumineuse. Lorsque ce n’est pas le cas, c’est que le temps a fait son œuvre. «Le pire ennemi des icônes est l’humidité», dit Mme Chrabieh. Un mauvais contrôle de la température risque d’entraîner un processus d’altération; c’est à ce moment-là que les insectes telles les mites commencent leurs ravages. «Il faut alors injecter au revers de l’icône un produit à base de paraxylène, utilisé dans la fabrication du plastique, et d’autres matières chimiques afin d’arrêter leur action dévastatrice.»

Après de nombreux voyages d’études en Turquie, en Syrie, en Grèce, en France et en Italie, Pamela Chrabieh a décidé de poursuivre sa formation à la Faculté de théologie pour approfondir ses connaissances sur l’art religieux. Sous la direction du professeur Jean-François Roussel, elle fait sa thèse sur «le pluralisme iconographique et l’interspiritualité». À travers les tableaux sacrés et les «icônes vivantes», c’est-à-dire les êtres humains, elle espère contribuer à une meilleure compréhension du conflit interreligieux qui sévit au Moyen-Orient.

Dominique Nancy



 
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