Édition du 19 novembre 2001 / Volume 36, numéro 12
 
  Entre les bienfaits de l’évaluation et les méfaits du classement
Selon Michel Janosz, le meilleur indicateur de réussite scolaire est l’encadrement par les parents.

Les milieux de l’éducation ont de nouveau réagi fortement au palmarès des écoles secondaires produit par l’Institut économique de Montréal et l’Institut Fraser de Vancouver, et publié par le magazine L’actualité.

Jugeant qu’un tel classement empêche de poser les bonnes questions, Michel Janosz, directeur du Centre de recherche sur la réussite scolaire et professeur à l’École de psychoéducation, envisage même d’organiser un colloque sur le sujet.

«Depuis 10 ans, dit-il, les mentalités ont évolué et plus personne dans le milieu de remet en question la nécessité d’une évaluation des écoles. Il y a même un consensus là-dessus.» Le spécialiste du rendement scolaire dit obtenir dans ses recherches une excellente participation du milieu même si ses instruments de mesure sont très détaillés.

«Si l’on veut vraiment aider les écoles, il faut évaluer les stratégies pédagogiques, examiner ce qui a été fait et ce qui n’a pas été fait plutôt que de donner des résultats de performance que l’on connaît déjà. Ceci nécessite des outils beaucoup plus sophistiqués que les indicateurs retenus par les auteurs du palmarès.»

Participation des parents

Selon ce qu’il a pu observer et mesurer, l’indicateur le plus fiable permettant de discerner les chances de réussite des élèves est l’encadrement assuré par les parents: plus ils suivent de près le parcours scolaire de leur enfant, meilleur sera le rendement de celui-ci.

Les auteurs du palmarès ne possédaient pas un tel indicateur, mais ils ont toutefois tenu compte du revenu moyen des parents dans chaque école. «Il existe un lien entre le niveau socioéconomique et la participation parentale, mais ce lien n’est qu’imparfait», soutient Michel Janosz. La participation parentale serait plus étroitement liée au niveau de scolarité des parents, mais cet élément, plus facile à obtenir, n’a pas été utilisé.

Le professeur se questionne par ailleurs sur l’omission — dans la cote «valeur ajoutée» indiquée dans le bulletin de chaque école mais non incluse dans la cote «globale» — de l’indice de proportion d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (les EHDAA). Comme seulement 2 écoles privées sur 123 présentent un taux de EHDAA élevé, cette omission avantage le secteur privé, souligne le professeur.

La proportion d’élèves en retard (qui, elle, est incluse dans la valeur ajoutée) ne concerne par ailleurs que les élèves de quatrième et cinquième secondaire; «à ces niveaux, les élèves en retard ont déjà quitté le privé», fait valoir M. Janosz. Avec d’autres chercheurs canadiens, le professeur travaille donc à élaborer de meilleurs instruments de mesure afin de favoriser la performance des écoles plutôt que de dresser leur palmarès.

«C’est ça la vie»

En attendant ces outils, une évaluation imparfaite ne vaut-elle pas mieux qu’une absence d’évaluation? «Les chercheurs de l’Institut Fraser ont fait du mieux qu’ils ont pu avec les données dont ils disposaient», reconnaît-il. Le problème, à son avis, n’est pas tant dans l’évaluation que dans le manque d’autocritique sur la méthode et dans l’objectif inavoué poursuivi.

Le fait, par exemple, de mettre sur un même pied écoles publiques et écoles privées sous prétexte que «ç’est ça la vie» lui semble une acceptation injustifiée des «injustices de la vie». Et l’argument selon lequel un classement aide les parents à choisir un établissement ne tient pas puisqu’ils n’ont pas le choix de l’école publique.

«Les responsables du palmarès veulent-ils ouvrir l’école publique au libre choix? Veulent-ils donner un coup de fouet, susciter un débat, arriver à des mesures plus précises? Si ce sont là leurs intentions, qu’ils le disent. Tout leur discours est malheureusement post facto

À ses yeux, il y a même apparence de conflit d’intérêts: «On ne sait pas qui a payé qui.»

Daniel Baril

Le classement des écoles fait couler beaucoup d’encre. Michel Janosz envisage même l’organisation d’un colloque sur la question.

Les épreuves du MEQ: peu valides pour classer les écoles

Selon Jean-Guy Blais, professeur au Département d’études en éducation et d’administration de l’éducation, la principale mesure utilisée pour établir le palmarès des écoles, soit les résultats aux épreuves du ministère de l’Éducation du Québec (MEQ), n’est pas adaptée à un tel usage.

«Les épreuves ministérielles ne servent pas à évaluer le rendement des écoles mais à donner une vue d’ensemble de l’état du système et à le piloter. C’est pourquoi le ministère doit normaliser les résultats.»

À son avis, l’instrument utilisé par les auteurs du répertoire est «mal construit, arbitraire et donne des résultats non justifiés». De plus, on lui accorderait une valeur de précision qu’il n’a pas.

À titre d’exemple, soulignons que l’ajout d’un nouvel indicateur, le taux de promotion de chaque école, a contribué à faire gagner plus de 150 échelons en un an à certaines écoles, et qu’il n’y a que 0,2 point de différence entre le 216e et le 245e rang (sur une échelle de 10 points).

Le professeur Blais, qui est également vice-doyen de la Faculté des sciences de l’éducation, met en doute la pertinence même de l’opération: «Si l’on désire savoir comment les écoles performent, il existe des outils conçus à cet effet. Si l’on veut dresser un portrait du système, il faut un questionnaire plus détaillé et procéder avec un échantillon d’élèves. Si l’on souhaite mesurer la réussite des élèves, les évaluations effectuées tout au long de l’année par les enseignants sont plus valides que les examens du MEQ.»

À ses yeux, il ne fait pas de doute que la performance obtenue par les écoles privées, qui occupent 73 des 80 premières places, est due à la sélection de clientèle qu’elles opèrent. Le caractère sélectif est d’ailleurs la seule caractéristique que partagent, avec les écoles privées, les écoles publiques internationales qui se sont classées dans les 17 premières places sur 462.

D.B.



 
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