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Quand le géologue Michel André Bouchard a commencé à donner des conférences sur les risques liés aux chutes météoriques, les gens étaient sceptiques et certains se moquaient du phénomène. Mais aujourd’hui, l’idée ne fait plus rire personne. |
Chaque année, des milliers de météorites entrent dans l’atmosphère et s’écrasent sur la Terre, le plus souvent sous forme de poussière. Mais une fois tous les siècles, un caillou interplanétaire d’au moins 50 m nous tombe dessus. C’est arrivé en 1908 à Tunguska, en Sibérie. L’impact aurait pu détruire entièrement une ville comme Montréal. Et tous les 10 000 ans, un plus gros objet extraterrestre frappe la Terre. Le choc peut être 8000 fois supérieur à la bombe qui a détruit Hiroshima. Le dernier événement de ce genre à s’être produit au Québec est survenu au Nunavik il y a 1,4 million d’années. On en voit encore la trace: c’est le cratère du Nouveau-Québec.
«Lorsque je présentais de telles données dans les années 80, les gens me prenaient pour un illuminé, raconte le géologue Michel André Bouchard. Ils ne pouvaient pas croire que des fragments d’astéroïdes, de planètes ou de comètes pouvaient entrer en collision avec la Terre et causer un sinistre d’envergure nationale.»
Depuis, il y a eu de nombreuses chutes d’objets célestes rapportées par les médias. En janvier 2000, un météorite de cinq mètres explosait à 20 km d’altitude au-dessus du lac Tagish, dans le nord de la Colombie-Britannique. En juin 1994, 20 fragments de météorite, d’une masse totale de plus de 25 kg, sont tombés dans des champs à Saint-Robert, près de Sorel. «Quelles auraient été les conséquences de ces chutes si la nature avait ciblé Montréal, Sorel ou Trois-Rivières? demande le professeur titulaire de géologie. Certainement des dommages notables, et possiblement des blessures ou des décès.»
Même s’il n’y a pas eu au 20e siècle de morts attribuables aux météorites — «quelques blessés et des dégâts matériels tout au plus» —, il est probable que le nombre d’incidents augmente avec l’expansion des zones habitées, prévient le géologue. «Une seule pluie météorique survenant l’été en milieu urbain pourrait provoquer une, voire quelques dizaines de morts et de blessés. Sans compter la panique qu’un tel événement engendrerait…»
Ce risque potentiel l’a amené à corédiger un rapport sur les sinistres que les chutes et les impacts météoriques peuvent occasionner. Le professeur Bouchard a présenté ce mémoire en février dernier à la commission parlementaire pour le projet de loi 173 sur la sécurité civile.
Astroblème
Membre du Comité consultatif sur les météorites et les impacts de l’Agence spatiale canadienne, Michel André Bouchard étudie depuis une vingtaine d’années les effets des collisions, dont les cratères, que les scientifiques appellent «astroblèmes». Ces effets se divisent en deux catégories. «Les impacts à vitesse réduite correspondent au cas où un bolide et ses fragments ont été entièrement freinés par l’atmosphère terrestre», souligne le géologue. Ce sont des chocs «balistiques» qui forment un trou de la dimension du corps céleste; sans vitesse cosmique, ce dernier tombe en chute libre. C’est notamment ce qui s’est produit à Saint-Robert le 14 juin 1994.
«Les impacts dits en “hypervélocité” correspondent au cas où le bolide conserve une partie de sa vitesse cosmique ou sa vitesse en entier. À leur tour, ces chocs se divisent en deux groupes: ceux qu’on qualifie de simples, comme le cratère du Nouveau-Québec, produisent un “trou” circulaire dont le diamètre est proportionnel à l’énergie du bolide, soit sa masse et sa vitesse», explique M. Bouchard.
Les cratères «complexes», comme ceux de Charlevoix ou de Manicouagan, présentent plutôt une dépression «en anneau» avec une partie centrale en relief. Signe d’une collision d’une violence inouïe. «Imaginez la scène. Un bout de planète d’une centaine de mètres de diamètre plonge à 40 000 km/h dans notre atmosphère, avant d’exploser et de pénétrer en millions de morceaux dans les entrailles de la Terre. Du coup, le sol s’ouvre; le météorite est pulvérisé et le centre du cratère remonte à la surface. Comme le mouvement d’une goutte de pluie qui tombe dans une flaque d’eau.»
Les scientifiques ont repéré plus de 150 astroblèmes sur la planète. Vingt-six se trouvent au Canada, dont huit au Québec. Avec ses 3 km de diamètre, le cratère du Nouveau-Québec est le plus petit recensé sur notre territoire. Le plus grand, le cratère de Manicouagan, situé au nord-ouest de Sept-Îles, a plus de 88 km de diamètre! L’île de Montréal, par comparaison, fait 50 km sur 16 km.
«C’est l’un des six plus gros astroblèmes du globe, tant par sa taille que par le fait que sa formation coïncide dans le temps avec une extinction majeure des espèces vivantes, longtemps avant celle des dinosaures», souligne M. Bouchard. Il aurait été formé il y a environ 220 millions d’années. Le plus récent impact de ce type est survenu au large de la côte du Yucatán, au Mexique, il y a 65 millions d’années. Ce cataclysme serait responsable de la disparition des dinosaures et de maintes autres espèces.
Vestiges de l’espace
Michel André Bouchard qualifie les fragments interplanétaires de «mine d’or» pour la science. Ces vestiges de l’espace «nous en apprennent beaucoup sur l’origine du système solaire», dit-il. Dans la période de 4,6 à 4,0 milliards d’années, la planète bleue a été soumise à d’intenses bombardements. Certains croient que ces bombardements seraient à l’origine de la vie sur Terre. «La plupart des bolides qui représentent un danger sont des fragments d’astéroïdes qui orbitent entre Mars et Jupiter et dont la trajectoire, perturbée par les effets gravitationnels cumulatifs, peut venir à croiser celle de la Terre.» En fait, 182 sont des sujets d’inquiétude, selon la NASA, qui compte avoir localisé 90 % de ces near earth objects d’ici 2008.
Quel est le risque qu’un de ces mégacailloux nous tombe dessus? Le géologue admet que la probabilité qu’une chute cause des dommages importants est faible compte tenu de la dimension du territoire québécois. «Vous avez plus de chances de gagner à la loterie.» Mais le phénomène n’appartient pas au domaine de la science-fiction. «Selon les statistiques, quelque 2400 météorites tombent sur la terre ferme chaque année, dont plusieurs dizaines au Québec», peut-on lire dans le rapport adressé à la commission parlementaire.
M. Bouchard n’est pas du genre à craindre la fin du monde. Mais il se demande qui va prendre les choses en main si un accident arrive. «Qui appeler? Quoi dire? Que faire? Ce que nous suggérons dans le mémoire, c’est que la sécurité civile se dote de procédures de communication pour intervenir en cas d’impact météorique.» Il rappelle qu’en 1994 il a suffi de quelques fragments d’un petit météorite pour déclencher une «quasi-panique». «Imaginez un impact en hypervélocité…»
Dominique Nancy