Édition du 10 décembre 2001 / Volume 36, numéro 15
 
  Le Grand Satan affronte le mal
Rodrigue Tremblay publie un livre sur la morale, la politique et l’économie.

Rodrigue Tremblay

En se référant à la morale manichéenne de la lutte contre le Mal pour justifier la campagne militaire en Afghanistan, le président américain George W. Bush commet la grave erreur d’associer politique et religion. Cela pourrait mener à une logique guerrière qui favoriserait des attaques contre l’Irak, la Corée du Nord et l’Iran.

C’est du moins l’opinion de Rodrigue Tremblay, professeur au Département de sciences économiques, qui publie ces jours-ci son 24e livre, L’heure juste, chez Stanké. Dans cet essai sur «la politique, la morale et l’économie», il affirme craindre l’administration Bush. «Je lui préfère nettement le leader anglais Tony Blair, qui présente le terrorisme comme une menace pour les démocraties. M. Bush, au contraire, utilise les arguments du Bien contre le Mal. Cela m’inquiète beaucoup.»

L’économiste, qui a été ministre de l’Industrie et du Commerce sous René Lévesque, avait commencé la rédaction de cet essai bien avant le 11 septembre, mais les actes terroristes l’ont forcé à repenser la structure de l’ouvrage et à en devancer la publication. «Non, je n’avais pas prévu les événements du 11 septembre. Mais j’avais écrit un long chapitre sur l’influence de la religion dans l’État, à l’intérieur duquel je faisais part de mes préoccupations.»

George W. Bush, rappelle M. Tremblay, a remporté de justesse ses élections grâce à l’appui de groupes religieux qui ont un grand poids aux États-Unis. Aussi retrouve-t-on aujourd’hui autour du président des lobbyistes qui mènent à leur façon une guerre sainte contre des pays «ennemis». En visant l’Irak, par exemple, on déborderait de la mission visant à mettre la main sur Oussama ben Laden.

«Le Canada a approuvé l’action du gouvernement américain jusqu’à maintenant, et je crois qu’il a bien fait. Mais advenant une dérive, il devra avoir le courage de dénoncer l’attitude des Américains», croit le professeur Tremblay. Ceux-ci seront-ils aptes à contrer le lobby de guerre? Pas sûr. D’autant plus que l’administration Bush recueille depuis le début de la crise un appui massif de la population.

«In God we trust»

Qu’est-ce qui amène un économiste à parler de morale? «L’âge, sans doute», répond en riant l’universitaire. Mais plus sérieusement, il croit que l’économie comme la politique sont indissociables des crises et des bouleversements engendrés par les idéologies religieuses. «Les États-Unis forment le pays le plus religieux parmi toutes les démocraties. Cela m’inquiète, car il faut laisser la religion en dehors des affaires de l’État.»

Avec des références à Dieu («In God we trust») sur la monnaie et ailleurs, peut-on s’étonner que les États-Unis soient considérés par les islamistes radicaux comme le Grand Satan? «Cette situation favorise le terrorisme politico-religieux», croit M. Tremblay.

À la décharge de George W. Bush, le sentiment antiaméricain a commencé bien avant son arrivée à la Maison-Blanche, souligne l’auteur de L’heure juste. «La politique extérieure américaine a été extrêmement opportuniste. Elle a soutenu des terroristes comme Ben Laden qui retournent aujourd’hui leurs armes contre leur ancien allié.»

De plus, Washington et l’ONU ont contribué à faire du conflit israélo-palestinien un «cancer qui ne guérit pas». Cela nourrit le radicalisme du monde arabe qui considère d’ailleurs Israël comme le Petit Satan.

L’économie, une science exacte?

Et l’économie dans tout cela? Elle absorbe le choc. Lorsque M. Tremblay a entamé la rédaction de cet essai, il avait l’intention de faire porter une bonne partie de son ouvrage sur la crise économique anticipée. Les événements que l’on sait lui ont donné une nouvelle perspective. Les modèles économiques, reconnaît Rodrigue Tremblay, sont inadaptés en temps de crise. «Les sciences économiques sont fiables, mais elles peuvent évidemment se détraquer lors de soubresauts. Malgré tout, on a noté des cycles assez réguliers de déflation-récession tous les 54 ans en moyenne.»

La récession mondiale qui commence risque-t-elle d’être plus sérieuse que prévu? Doit-on souhaiter un retour à des économies moins ouvertes et moins mondialisées? Voilà des questions que l’auteur se pose dans le livre.

Même s’il est officiellement retraité du Département de sciences économiques, après quelque 35 années de vie universitaire, le professeur Tremblay continue d’être actif à titre de directeur de recherche d’une demi-douzaine d’étudiants aux cycles supérieurs. Il est également chroniqueur au journal Les Affaires.

Mathieu-Robert Sauvé

Rodrigue Tremblay, L’heure juste, Montréal, Éditions Alain Stanké international.



 
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