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Réginald Hamel |
«Allez donc, voguez, ô troupe généreuse/Qui avez surmonté d’une âme courageuse/Et des vents et des flots les horribles fureurs/Et de maintes saisons les cruelles rigueurs/ Pour conserver ici de la Françoise gloire […] Parmi tant de hazards l’honorable mémoire.»
L’adieu aux François, de Marc Lescarbot (1570-1642), est selon Réginald Hamel l’une des odes les plus remarquables du premier poète d’expression française de la Nouvelle-France. Dans le dictionnaire qu’il vient de publier chez Guérin avec la collaboration de l’éditeur, Marc-Aimé Guérin, le professeur retraité du Département d’études françaises a écrit la biographie de 1050 poètes et, dans de nombreux cas, choisi dans leur œuvre un extrait qui semblait représentatif. Ouvrage de bénédictin auquel le vieux routier des lettres québécoises a consacré huit mois de travail. «Je dors peu. Alors je travaille beaucoup», explique en rigolant M. Hamel.
Le Dictionnaire des poètes d’ici: de 1606 à nos jours présente des poètes d’un océan à l’autre, mais la plupart vivent ou ont vécu au Québec. «Quand nous avons commencé à travailler à ce projet, nous avons assez rapidement fait face à un problème d’identité nationale, relate l’auteur. Les poètes des Maritimes ou de l’Ouest canadien ne voulaient pas figurer dans un dictionnaire de “poètes québécois”. Les Québécois ne voulaient pas être considérés comme des “Canadiens français”; nous avons trouvé un compromis en présentant les auteurs simplement comme des “poètes d’ici”.»
Marc-Aimé Guérin justifie ce choix en avant-propos: «Si l’on prend chacune des parties de ce titre: “poètes” couvre la notion du masculin et du féminin, ce qui est d’ailleurs utilisé dans plusieurs anthologies spécialisées; “d’ici”, selon moi, résout également le problème du régionalisme où chacun est jaloux de son identité territoriale. […] Qu’elle soit celle des “pures-laines”, des Néo-Canadiens, Québécois, Ontariens, Fransaskois, Acadiens, etc., [cette poésie] est toujours d’ici.»
Choix éditoriaux
En plus de cette décision éditoriale, MM. Guérin et Hamel ont voulu limiter au maximum la controverse en demandant aux poètes eux-mêmes de faire parvenir le texte qui représentait le mieux leur œuvre. M. Hamel a dû toutefois trancher lorsqu’un poète envoyait un poème de 10 pages, voire un recueil complet. Il a fallu arrêter un choix dans le cas des poètes décédés ou qui ne répondaient pas à l’invitation.
Mais qu’est-ce qu’un poète d’ici? Une personne qui a publié des poèmes «dans des revues, anthologies, journaux et recueils». Mais cela exclut les chansonniers: pas de Zacharie Richard ou de Michel Rivard dans ce dictionnaire. En bref, ceux qui répondaient aux conditions des auteurs et qui donnaient signe de vie étaient dignes d’y figurer.
Mais les poètes restent des poètes. Certains ont exigé de connaître la liste des gens qui s’y trouveraient avant d’accepter. D’autres ont voulu inclure dans leur biographie des remarques désobligeantes à l’égard de telle ou telle institution. Un autre a envoyé sa photo mais en demandant qu’on le présente comme «anonyme»…
Selon Réginald Hamel, il faut bien distinguer cet ouvrage d’une anthologie. D’ailleurs, s’il existe une pléthore d’anthologies de la poésie québécoise (ou canadienne…), les dictionnaires sont inexistants. Le besoin d’un tel ouvrage est évident. D’ailleurs, dès sa parution, toute récente, l’ouvrage s’est vite envolé. Près de 200 auteurs ont fait parvenir à Réginald Hamel leur CV. L’auteur se prépare donc à une réédition revue et augmentée.
Quoi qu’il en soit, un livre rassemblant quatre siècles de poésie «d’ici», de Joseph-Frédéric-Auguste Achintre (1834-1886) à Paul Zumthor (1915-1995), c’est un incontournable dans une bibliothèque.
Mathieu-Robert Sauvé
Réginald Hamel et Marc-Aimé Guérin, Dictionnaire des poètes d’ici: de 1606 à nos jours, Montréal, Guérin éditeur, 1058 pages.