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Ollivier Hubert a obtenu le prix Lionel-Groulx pour sa thèse sur les rituels au Québec avant la Confédération. |
«Aller à la messe de minuit, c’est l’ambition naturelle et le grand désir de tous les paysans canadiens […] L’anniversaire de la naissance de Jésus devient pour eux plus qu’une date ou qu’un rite: la rédemption renouvelée, une raison de grande joie, et l’église de bois s’emplit de ferveur simple et d’une atmosphère prodigieuse de miracle.»
On connaît la suite: à cause de la neige qui tombe à plein ciel, Maria Chapdelaine manque la messe de minuit et perd son amoureux dans la tempête. Incarnant les valeurs de l’époque, l’héroïne du roman de Louis Hémon va à l’église le dimanche et récite des prières pour obtenir des faveurs. Ces rites associés au Québec pieux de jadis semblent être nés durant la colonisation et avoir traversé les siècles intacts. Faux, dit Ollivier Hubert, professeur adjoint au Département d’histoire. Vers 1850, les pratiques rituelles se sont soudainement «institutionnalisées»: c’est à partir de ce moment que la présence aux offices, par exemple, devient une exigence du curé de paroisse. Les évêques du diocèse de Québec, Mgr de Saint-Vallier en tête, ont voulu remplir les églises tout en mettant un peu d’ordre dans les façons d’exprimer la foi.
«Jusqu’au milieu du 19e siècle, la messe du dimanche n’est pas une pratique assidue, explique l’historien. Même chose pour la communion et la confirmation. Ce sont des pratiques considérées comme très importantes, presque sacrées, et pour cette raison on les garde pour les occasions spéciales…»
La thèse de M. Hubert, qui a été publiée aux Presses de l’Université Laval, vient d’obtenir le prix Lionel-Groulx de la fondation Yves-Saint-Germain, un prix majeur en sciences humaines. «Maniant l’analyse et la plume avec une égale grâce, écrit le jury, Ollivier Hubert nous présente une étude fine, sur le long terme, de la mise en place, de la diffusion et des transformations des rites catholiques pendant plus d’un siècle. S’appuyant sur un corpus impressionnant d’archives de paroisse, de correspondance entre curés et évêques, de mandements et d’imprimés, l’auteur étale la minutie et l’ampleur du travail symbolique accompli par le rite religieux.» Le prix est accompagné d’une bourse de 5000 $.
Organisation du rituel
C’est la publication d’un ouvrage intitulé Le rituel, par Mgr de Saint-Vallier, qui va inciter les gens à uniformiser leurs pratiques. Chants, bénédictions, sacrements seront beaucoup mieux encadrés. Avant le milieu du 19e siècle, pourtant, les curés passaient une grande partie de leur temps à animer des rituels: messes, rites de passage, bénédictions d’objets quotidiens, etc. Ils faisaient même à l’époque des exorcismes préventifs en chassant Satan du sol où les paysans voulaient semer du grain. Cela permettait d’empêcher les infestations de sauterelles…
L’historien a épluché les lettres des paroissiens des 18e et 19e siècles pour effectuer sa plongée dans le Canada d’avant la Confédération. «En fait, on voit bien que la mainmise de l’Église sur l’efficacité rituelle n’est pas encore totale, écrit-il dans un résumé de sa thèse. Il y a des mentions de superstitions, mot péjoratif que les élites ont inventé pour discréditer les savoirs rituels populaires, sans parler des ritualités amérindiennes. Puis il y aura la concurrence des rituels protestants, ensuite des savoirs scientifiques qui proposent d’autres modes d’action sur le réel. L’Église se bat en fait sur deux fronts: légitimer le rite religieux comme efficace et pertinent socialement, et imposer l’exclusivité de sa mainmise sur ce rite efficace.»
Le bon vieux temps
«J’avoue que j’ai un peu plus de sympathie pour la période qui précède ce changement, dit M. Hubert. Avant 1850, les Canadiens français entretenaient un rapport avec le rituel plus solennel. Il y avait plus de peurs et de tabous, mais aussi plus de respect pour le sacré. Il existait alors une plus grande théâtralité dans la pratique religieuse.»
Théâtralité? Le corps du Christ incarné dans l’hostie est un concept difficile à avaler (pardon pour le jeu de mots…) sans une mise en scène assez poussée, fait remarquer Ollivier Hubert. «Croire que Jésus est enfermé dans cette hostie implique de se mettre dans l’esprit du rite, dit-il. Un peu comme les masques africains permettent des pratiques rituelles originales.»
Originaire de France, Ollivier Hubert est arrivé au Québec en 1989 à la faveur d’un programme d’échanges. Il a terminé une maîtrise à l’Université Laval (en collaboration avec l’Université de Rennes), puis obtenu un D.E.A. à la Sorbonne avant de faire son doctorat à l’Université de Montréal. Il est aussi titulaire d’un postdoctorat de l’Université de Toronto. Son regard extérieur sur notre petit monde semble être apprécié. Martine Tremblay, de l’INRS-Urbanisation, culture et société, écrit, dans Études d’histoire religieuse, que «Ollivier Hubert a adopté une approche interdisciplinaire féconde qui élargit les perspectives de l’histoire religieuse de cette période. Il développe une voie de recherche prometteuse, où peu d’historiens se sont engagés.»
Mathieu-Robert Sauvé