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Daniel Paquette dirige le projet la mère veille à l’Institut de recherche sur le développement social des jeunes aux centres jeunesse, un projet qui porte sur la transmission intergénérationnelle des difficultés d’adaptation sociale. |
On reproche souvent aux jeunes parents d’être trop permissifs et de manquer de contrôle sur leurs enfants, mais cette image ne collerait pas du tout aux mères adolescentes; elles feraient preuve, au contraire, d’un trop grand contrôle sur leur enfant.
Selon Daniel Paquette, professeur au Département de psychologie, certaines recherches sur les mères adolescentes indiquent qu’elles sont passives vis-à-vis de leur enfant alors que d’autres montrent qu’elles sont plutôt punitives et restrictives. Afin d’éclairer la situation, il a mené sa propre étude dans le cadre d’un projet qu’il dirige à l’Institut de recherche sur le développement social des jeunes (centres jeunesse) et qui porte le joli titre de la mère veille.
Ses résultats révèlent que les mères adolescentes, âgées de 13 à 19 ans, ont plus tendance à surcontrôler leur enfant qu’à être passives. Près de 62 % des adolescentes se sont montrées surcontrôlantes, comparativement à 38 % des mères adultes. Seulement 19 % des adolescentes ont présenté une attitude passive et désengagée.
«Le désengagement désigne un comportement qui répond peu ou trop tard à l’enfant, comme lorsqu’une mère attend la crise avant d’intervenir, précise Daniel Paquette. Le surcontrôle est quant à lui une trop grande intrusion dans la vie de l’enfant; ces mères interviennent plus en fonction de leurs propres besoins que de ceux de l’enfant, ne se mettent pas à la place de l’enfant et, même dans les jeux, manquent d’empathie. Le comportement approprié nécessite une sensibilité qui permet de décoder correctement les signaux de l’enfant et d’y répondre adéquatement.»
Selon le chercheur, l’image de la mère adolescente désengagée vient probablement du fait que les études antérieures ont comparé des adolescentes et des adultes de milieux différents. Pour éviter le problème, il s’est assuré d’avoir des mères de même condition sociale en prenant comme critère une scolarité de 12 ans ou moins.
Risques
Le surcontrôle de l’enfant par la personne qui en a la charge peut causer des problèmes psychologiques, notamment la dépression, l’anxiété et le retrait social. «Ou bien l’enfant se montre plus difficile et pleure davantage, ou bien il devient “accommodant compulsif”, c’est-à-dire trop complaisant à l’égard des autres et replié sur lui-même, observe Daniel Paquette. Le désengagement entraîne aussi des troubles de comportement, comme l’irritabilité et l’agressivité.»
Dans son étude, 40 % des mères adolescentes ont exprimé un niveau de sensibilité suffisamment problématique pour que l’enfant soit à risque de développer l’un ou l’autre de ces problèmes et qu’il ait besoin de protection. La grande majorité de ces cas inquiétants, soit 88 %, mettent en cause une mère surcontrôlante.
Selon le chercheur, ce chiffre de 40 % pourrait être conservateur puisque son échantillon a été constitué à partir de jeunes filles inscrites à l’école Rosalie-Jetté, donc qui bénéficient d’un certain encadrement. «Il se pourrait que les adolescentes qui ne vont plus à l’école soient encore plus à risque, estime-t-il. Certaines peuvent rester trois mois sans voir personne et les pires cas ne sont pas toujours connus des services sociaux.»
Les comportements parentaux inadéquats des mères adolescentes seraient davantage dus à leur immaturité plutôt qu’à la faible scolarité des jeunes filles de l’échantillon. Et cette immaturité n’est pas seulement une question d’âge. «De façon générale, les mères adolescentes ont connu plus de situations de maltraitance, de dépression et de troubles du comportement au cours de leur développement affectif que les mères adultes. Et il semble y avoir une transmission intergénérationnelle de ces situations de mère à fille.»
Selon Daniel Paquette, l’absence du père pourrait jouer un rôle dans cet héritage, une hypothèse sur laquelle il aimerait se pencher dans une recherche ultérieure.
Mais toutes les mères adolescentes ne représentent pas des cas à problèmes, tient à souligner le chercheur. «Plusieurs s’en tirent très bien, vivent en famille avec leur conjoint et possèdent déjà une bonne expérience des enfants pour avoir fait du gardiennage très jeune.» L’étude montre que 35 % des mères adolescentes présentent un degré adéquat de sensibilité et de réponse aux signaux de l’enfant.
Les résultats indiquent par ailleurs dans quelle direction les interventions d’aide et de protection devraient être dirigées. «Plus les mesures sont ciblées, meilleur est le résultat; elles devraient donc favoriser la sensibilité de la mère et viser davantage les comportements intrusifs et surcontrôlants plutôt que le désengagement», résume Daniel Paquette.
Daniel Baril