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Titulaire d’une chaire de recherche du Canada, Sylvain Chemtob s’attaque aux problèmes de vision courants chez les bébés prématurés. |
Le petit Christophe a passé 25 semaines dans le ventre de sa mère et est né trois mois avant terme. Pour l’instant, il repose à la pouponnière de l’hôpital Sainte-Justine. Mais lorsqu’il ouvrira les yeux, il risque d’avoir de sérieux problèmes de vision, car la formation des vaisseaux sanguins de la rétine n’est complétée qu’après 40 semaines de grossesse. En 2001, 7 % des bébés sont nés prématurément au Québec. De 50 à 80 % des très grands prématurés sont atteints d’une affection nommée rétinopathie du prématuré, dont la plus redoutable conséquence est la cécité complète.
«Curieusement, nous apprend le pédiatre Sylvain Chemtob, en dépit du nombre impressionnant de bébés qu’elle touche et de ses impacts durant leur vie, nous savons très peu de chose sur cette pathologie.»
Comme la vascularisation n’est pas terminée chez les prématurés, leur rétine ne peut gérer l’énorme quantité d’oxygène qui s’immisce dans leurs tissus. Leurs vaisseaux sanguins sont incapables de se resserrer pour réguler le flux d’oxygène. Néanmoins, après un certain temps, leurs vaisseaux se contractent définitivement, puis dégénèrent. Ainsi privés de leur source d’oxygène, les tissus rétiniens sont avides de nouveaux vaisseaux. Au lieu de s’étaler sur la rétine, ceux-ci pénètrent dans la vitrée, cette substance gélatineuse qui forme la partie centrale de l’œil. Or, cette traction de la rétine vers la vitrée prive d’oxygène les cellules réceptrices de lumière contenues dans la rétine.
Titulaire de la toute nouvelle chaire de recherche du Canada en périnatalogie, le professeur Chemtob a mis au jour ces mécanismes au cours des 10 dernières années avec son équipe de l’hôpital Sainte-Justine. Une de leurs percées implique deux substances produites en quantité chez le prématuré: les prostaglandines et l’oxyde nitrique. Ce duo désastreux forme un puissant relaxant qui neutralise la capacité des vaisseaux sanguins à se contracter. Or, en inhibant une seule de ces substances, les vaisseaux retrouvent leur capacité de contraction, ce qui permet une meilleure régulation du débit sanguin dans la rétine de ces prématurés.
Les chercheurs ont aussi découvert que les récepteurs couplés aux protéines G ne se trouvent pas seulement sur la membrane plasmique de la cellule, mais également sur le noyau. Une trouvaille qui bouleverse des dogmes en biologie et dans le domaine des lipides, et dont la prestigieuse revue Science a récemment fait mention.
«Ces récepteurs du noyau cellulaire ouvrent la porte à de nouvelles cibles thérapeutiques, s’enthousiasme Sylvain Chemtob. Ils nous aident aussi à mieux comprendre le fonctionnement des prostaglandines, des hormones régulatrices aux multiples fonctions dans le corps. De plus, ces récepteurs révèlent bien des choses au sujet d’autres hormones qui agissent sur divers récepteurs couplés aux protéines G.»
Retarder les accouchements précoces
Forte de son expertise, l’équipe du Dr Chemtob a créé un composé capable de retarder les accouchements prématurés. En effet, les prostaglandines provoquent la contraction des muscles de l’utérus qui déclenche le travail de l’accouchement. Or, en agissant sur les récepteurs couplés aux protéines G, le composé réussit à diminuer considérablement le rythme des contractions et prolonge la grossesse. Ce composé (ainsi que la technologie de mise au point) a récemment été breveté par l’entreprise québécoise Theratechnologies.
Après des études de médecine à l’Université de Montréal et à l’Université McGill et une spécialisation en néonatologie, Sylvain Chemtob part aux États-Unis et consacre ses travaux postdoctoraux aux processus vasculaires qui participent à la rétinopathie des prématurés. Rapidement, sa démarche novatrice et son amour pour la recherche lui valent une réputation de scientifique brillant et passionné.
De retour au Québec, il s’intègre en 1991 à l’équipe de chercheurs sur le développement fœtal et la croissance fœtale de l’hôpital Sainte-Justine, dont il deviendra plus tard responsable. «Je suis convaincu que nous pouvons devenir une des meilleures équipes du monde en périnatalogie», affirme le professeur du Département de pédiatrie. Mais par-dessus tout, Sylvain Chemtob veut pouvoir traiter les enfants nés trop tôt et, éventuellement, prévenir la prématurité.
Sophie Payeur
Collaboration spéciale