Édition du 18 février 2002 / Volume 36, numéro 21
 
  Voyage au cœur du solide
Le physicien Michel Côté s’intéresse à la matière condensée.

Michel Côté a donné le premier cours de sa vie le 7 janvier dernier. Le plus jeune professeur du Département de physique veut relever les défis fascinants que pose la matière condensée.

Dans des conditions particulières, certains plastiques peuvent devenir de formidables conducteurs électriques, voire des supraconducteurs. Des physiciens commencent à s’intéresser de près aux facteurs capables de conférer aux polymères des propriétés fondamentales aussi extraordinaires. Michel Côté est un de ces chercheurs. Le plus jeune professeur du Département de physique (il n’a que 31 ans) est spécialisé dans le calcul et la simulation numériques des propriétés des matériaux organiques, c’est-à-dire constitués d’éléments de carbone.

Pouvant se livrer à d’infinies simulations grâce aux ordinateurs de calcul à haute performance, il crée des matériaux organiques inédits… mais virtuels. «Imaginez: je conçois des objets qui n’existent pas encore dans la réalité ou s’ils existent, c’est en si petites quantités qu’on l’ignore.»

Une molécule, le C 60, a été conçue de cette façon en 1985 au Texas par Robert Curl, Harold Kroto et Richard Smalley, qui ont obtenu le prix Nobel de chimie en 1996 pour leur découverte. Ce fullerène a une forme tellement rare de composé carbonique qu’on le croyait inexistant dans l’Univers jusqu’à ce qu’on le retrouve, en traces infinitésimales, sur des fragments de météorites.

Révolution en vue

Selon Michel Côté, l’infinie plasticité des molécules de carbone rend désormais possible la création de nouveaux matériaux qui pourraient intéresser grandement l’industrie électronique. Il croit que nous sommes à la veille d’une révolution dans le domaine des écrans d’ordinateurs et des écrans géants utilisés par les entreprises publicitaires. «Ces matériaux émettant naturellement dans le bleu, poursuit-il, on complète ainsi, avec le jaune et le rouge, le trio des couleurs fondamentales, ce qui ouvre la porte à la reproduction sur écran de l’infinité des couleurs, et ce, à des coûts minimes par rapport aux matériaux traditionnels.»

Mais il reste du chemin à faire avant d’en arriver là. On ne connaît pas encore avec précision les facteurs qui déterminent les propriétés électroniques de ces nouveaux matériaux. «On ignore, par exemple, comment voyage exactement l’électron dans les matériaux organiques. L’interaction entre les trous et les électrons est plus forte, certes, mais cela ne permet pas encore de définir le modèle de déplacement des électrons lorsque ceux-ci sont excités et qu’ils se déplacent un peu partout entre les atomes, comme si l’espace interatomique était un milieu en soi, une espèce de Jell-O dans lequel baignent les noyaux.»

Rattaché au Groupe de physique numérique de l’UdeM (le groFNUM), le physicien, fraîchement diplômé de l’Université de Californie à Berkeley et de l’Université de Cambridge, poursuit ses travaux en collaboration avec le groupe du chimiste Mario Leclerc, de l’Université Laval. «Les fullerènes que je viens d’évoquer sont des composés carboniques sphériques, dit-il en sortant précipitamment de son bureau pour y revenir avec un ballon de soccer. Composé exclusivement de motifs pentagonaux et hexagonaux, ce ballon est une représentation quasi parfaite du C 60. C’est un composé qui rassemble 60 atomes de carbone en une structure stable qui, amalgamés à d’autres unités semblables, réussissent à former un cristal capable de receler de fulgurantes propriétés électroniques.»

La charge électronique d’une molécule de carbazole qu’étudie présentement M. Côté et ses collègues en vue d’en faire un polymère.

La forme du composé n’est pas sans rappeler la géode créée par Richard Buckminster Fuller pour le pavillon américain de l’Expo 67 (aujourd’hui la Biosphère de Montréal). C’est en son honneur que les scientifiques ont appelé «fullerènes» la nouvelle famille de matériaux.

Michel Côté — qui a séjourné cinq ans à Berkeley pour son doctorat — a fait partie d’une équipe qui a mis au point un nouveau fullerène, le C 36. «Quand l’idée est née dans le labo, se rappelle-t-il, et que nous avons commencé à pressentir le succès de l’entreprise, il y a eu une énorme émotion, un grand frisson…»

Entre la philosophie et la physique

En l’écoutant parler avec enthousiasme des mondes subatomiques à la base de la matière condensée, on ne s’étonne pas d’apprendre que ce jeune homme, né d’un père électricien et d’une mère enseignante de Sorel-Tracy, a passé l’essentiel de son enfance et de son adolescence à s’intéresser au comment et au pourquoi des choses. «Ma motivation a toujours été de mieux comprendre la physique de la matière, dit-il. Arrivé à la croisée des chemins universitaires, j’ai longtemps hésité entre le bac en philo et les études en physique, qui m’apparaissaient comme deux voies potentiellement en mesure de me donner ce que j’ai toujours recherché: un outil explicatif de la réalité.»

Ce qui amène la plupart des étudiants à la physique, estime M. Côté, c’est le désir de se confronter aux grandes lois de l’Univers, en se spécialisant à chaque bout du spectre: l’infiniment petit ou l’infiniment grand. C’est normal qu’il en soit ainsi parce qu’on pressent ces deux mondes comme encore porteurs d’inconnu. «Mais ce faisant, on oublie trop souvent que, quelque part entre les deux, parmi les solides qui nous entourent, la matière cache toujours des lois et des propriétés physiques qui ne demandent qu’à être découvertes.»

Luc Dupont
Collaboration spéciale



 
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