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Dans l’ordre habituel, les professeurs Alexandra Dobrowolsky, Jane Jenson, Deena White, Denis Saint-Martin et Paul Bernard. |
Il semble bien révolu le temps où les mesures sociales de certains pays industrialisés s’appuyaient uniquement sur les travailleurs et leur apport à l’économie. «Nous sommes passés de l’État-providence, fondé sur le citoyen-travailleur, à l’État de l’investissement social, dont l’action est surtout centrée sur les enfants», observe Denis Saint-Martin, professeur au Département de science politique.
Cette nouvelle donne est à la base du projet de recherche Cohésion sociale, auquel il participe avec Jane Jenson, du même département, ainsi que Paul Bernard et Deena White, du Département de sociologie. Y collaborent également Alexandra Dobrowolsky, de l’Université Saint Mary’s à Halifax, et Pascale Dufour, de l’Université de Carleton au Nouveau-Brunswick.
Les effets de la mondialisation
Les chercheurs veulent mieux comprendre la cohésion sociale et la façon dont elle doit se refléter dans les mesures sociales, à la lumière de la conjoncture socioéconomique du 21e siècle. L’étude couvre trois pays, soit la France, la Grande-Bretagne et le Canada.
L’équipe part du principe de citoyenneté sociale pour étayer son hypothèse. Cette citoyenneté s’appuie sur un double rapport: d’une part les relations des citoyens entre eux par la solidarité et d’autre part les relations entre l’État et le citoyen. «À partir de ce double rapport, la cohésion sociale correspond à la capacité de vivre ensemble dans des sociétés de plus en plus fragmentées, complexes, diversifiées et assujetties à des activités transnationales, comme l’Accord de libre-échange nord-américain. Nous assistons à une restructuration de l’État-providence dans le contexte de la mondialisation des économies», soutient Denis Saint-Martin.
Jane Jenson avance que les mutations socioéconomiques ont modifié les objectifs des gouvernements. Dans le passé, explique-t-elle, le citoyen-travailleur était le pourvoyeur. L’action sociale était imaginée en fonction de cette dynamique. Ce citoyen-travailleur, caractéristique de la période d’après-guerre, a été remplacé par l’enfant-citoyen, ses besoins et son avenir.
Cette orientation vers l’enfant-citoyen implique que, si les enfants sont bien suivis dès la naissance, ils deviendront peut-être de futurs travailleurs performants, en santé et engagés dans leur communauté. «Et cela resserrera les maillons de la cohésion sociale», fait valoir M. Saint-Martin.
Causes de cette mutation
Parmi les raisons qui ont mené à des mesures sociales plus axées sur les enfants, mentionnons les recherches démontrant que ces derniers peuvent apprendre plus tôt qu’on le croit et qu’il faut les stimuler dès leur plus jeune âge. Il y a aussi la tendance en faveur du capital humain et social, observe Denis Saint-Martin. «Ce qui amène l’État à contribuer à la revitalisation des quartiers, comme c’est le cas en Grande-Bretagne. Au Canada, depuis une dizaine d’années, on se préoccupe de la pauvreté des enfants alors qu’il n’en était pas question auparavant.»
La multiplication des organismes communautaires, que les chercheurs appellent le tiers secteur, explique aussi la nouvelle orientation des gouvernements. «L’économie sociale joue un rôle de premier plan en France et au Québec. De plus, les réseaux d’aide se multiplient et luttent de plus en plus pour la reconnaissance de leurs droits.»
M. Saint-Martin y voit aussi une raison politique, soit l’action des établissements, l’interprétation qu’ils ont tirée de l’importance de l’enfant et l’héritage des mesures antérieures.
«Nous mettons maintenant l’accent non pas sur le niveau de dépenses macroéconomiques, mais sur la façon de construire le bien-être. C’est là qu’il y a eu des changements, ne serait-ce qu’au chapitre des enfants démunis et de l’égalité des enfants. La famille est maintenant protégée de manière différente. Et ce mouvement a commencé bien avant la dénatalité», renchérit Mme Jenson, qui est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en citoyenneté et gouvernance.
La réalité
Dans les faits, cette transition se traduit notamment par un changement de langage. Par exemple, Ottawa a remplacé le vocable «allocations familiales» par «prestations nationales pour enfants». Au Québec, on parle maintenant du «régime de prestations familiales». En outre, le réseau public des garderies québécoises est maintenant connu sous le nom de «centres de la petite enfance». Même si les modalités varient, l’idée de responsabilité collective envers l’enfant est de plus en plus avancée au Canada, au Québec et au Royaume-Uni, constate Jane Jenson.
«Parallèlement, les mesures relatives à l’emploi ciblent souvent les mères seules. En les faisant travailler, ce sont les enfants que l’État aide. Au Québec, l’aide sociale est maintenant beaucoup moins liée au statut sur le marché du travail et beaucoup plus à la famille. Nous étudions cette reconfiguration.»
Étude qualitative
L’équipe compare, par exemple, les politiques publiques entre les trois pays de 1945 à 2001. Les chercheurs examinent les différences entre le Canada et la Grande-Bretagne ou entre la France et le Québec, notamment en menant des enquêtes sur le terrain. «Notre rapport devrait aider à mieux comprendre les mesures sociales et à fournir des pistes. La mondialisation, la technologie et le vieillissement n’imposent pas une seule réponse. Il faut voir quelle est la marge de manœuvre des acteurs politiques et des États», conclut Jane Jenson.
Cette recherche est financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Les chercheurs peuvent aussi compter sur le soutien du Conseil québécois de la santé et du bien-être et sur celui du Réseau canadien de recherche en politique publique, un organisme à but non lucratif pancanadien. Ce dernier a pour but d’orienter le débat sur des questions économiques et sociales. Le ministère du Patrimoine canadien fournit de son côté les services d’un chercheur associé. La recherche, amorcée en 2000, a été prolongée jusqu’en 2004.
Marie-Josée Boucher
Collaboration spéciale