Édition du 25 février 2002 / Volume 36, numéro 22
 
  Jean qui rit, Jean qui pleure… dans le scanner
Joie et tristesse passent par les mêmes circuits cérébraux.

Mario Beauregard a «filmé» le cerveau des acteurs éprouvant des émotions comme la joie ou la tristesse.

Les circuits du cerveau activés pour les émotions seraient les mêmes pour la tristesse et pour la joie. C’est la découverte qu’ont faite récemment Mario Beauregard et son équipe du Département de radiologie de la Faculté de médecine. Les résultats de leur recherche ont provoqué une certaine surprise à leur présentation au congrès annuel de la Society for Neuroscience, qui s’est déroulé à San Diego en novembre dernier.

«Nous avions proposé l’hypothèse que la tristesse et la joie étaient traitées de manière différente par ce que nous appelons le système limbique, généralement reconnu comme le centre des émotions. Mais l’imagerie par résonance magnétique nucléaire a plutôt montré que ce sont les mêmes circuits cérébraux qui traitent ces émotions contraires», explique le chercheur rattaché à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal.

M. Beauregard ne prétend pas qu’il n’existe aucune différence sur le plan physicochimique dans le cerveau lorsque nous rions d’une bonne blague ou pleurons un amour disparu. Mais les appareils utilisés n’ont pas été en mesure d’enregistrer ces différences «Il faut pousser les recherches plus loin afin de les cerner à un stade plus microscopique», dit le spécialiste.

11 acteurs dans le scanner

La méthodologie employée pour parvenir à ce résultat est en elle-même assez singulière. Le chercheur a sélectionné 11 acteurs professionnels qui, après avoir disposé d’une semaine pour répéter leur rôle, ont été placés dans un scanner capable de «filmer» l’activité de leur cerveau. «Ces gens-là peuvent se laisser envahir par une émotion de tristesse au point de verser de véritables larmes, dit le professeur Beauregard. Nous leur avons demandé d’interpréter successivement deux émotions assez éloignées l’une de l’autre afin d’observer leur cerveau en action.»

Dans l’apprentissage du métier de comédien, deux écoles s’affrontent. L’Actors Studio, de Stanislavski, prétend que l’acteur doit puiser dans ses souvenirs les émotions qu’il cherche à faire passer; l’autre approche recommande, au contraire, une simulation pure sans lien avec le «vécu». Les comédiens examinés par scanner, tous issus du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, affirmaient appartenir à la première école. Ces sujets — cinq hommes et six femmes ayant de 5 à 15 ans d’expérience au cinéma, à la télévision et au théâtre — devaient évaluer leur propre état d’auto-induction sur une échelle de 0 à 8.

Les recherches sur le «cerveau des émotions» (cortex orbito-frontal, hippocampe, lobe temporal, cortex préfrontal et amygdale) connaissent un essor depuis quelques années. Mais habituellement, on traite séparément des émotions aussi différentes que la joie, la peur, la colère, la surprise ou la tristesse. L’originalité de la recherche menée par l’équipe de Mario Beauregard est d’avoir regroupé des sujets de recherche capables de vivre successivement une joie intense et une peine profonde en offrant leur cerveau en spectacle.

Son étude a été financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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