Édition du 18 mars 2002 / Volume 36, numéro 24
 
  La poésie dans le génie
Pour Réjean Plamondon, la poésie se cache aussi derrière les réalisations scientifiques.

Réjean Plamondon dans son bureau. Sur le tableau, en arrière-plan, figurent les formules mathématiques à l’origine d’un système de vérification des signatures.

«Quand j’étais jeune, je rêvais d’être astronaute. Depuis quelques années, on veut faire de moi un internaute. Au fil des gens, je constate pourtant que je ne suis qu’un cervonaute, un voyageur cérébral qui pense plus vite que son nombre.» Ainsi se décrit Réjean Plamondon dans Portraits rebelles d’un cervonaute, son dernier recueil de poèmes paru aux Écrits des Forges. Forum l’a invité à parler de sa démarche créatrice.

Le directeur général de l’École Polytechnique ne correspond pas à l’image du professeur d’université qui ne s’intéresse qu’à la science. Cela ne l’empêche toutefois pas d’être un chercheur de renom. Ses recherches sur la modélisation neuromotrice des mouvements ont été sélectionnées par le magazine Québec Science parmi les 10 découvertes de l’année en 1996. Entre deux articles savants, il compose des poèmes. Ce qui fait de lui un des rares scientifiques à mener de front une carrière de chercheur et une autre de poète.

En 1981, le physicien, ingénieur et professeur au Département de génie électrique et de génie informatique a publié Zoupic, un conte pour enfants, puis, en 1987, Robin des Banques, une nouvelle policière. Ont suivi deux recueils de poèmes: Écritude en 1990 et Portraits rebelles d’un cervonaute en 1998. «Entre l’orgasme, les amouraches et la relativité absolue, l’on reconnaît la concision de la pensée du scientifique», peut-on lire dans le Dictionnaire des poètes d’ici à propos de son premier recueil. «Une imagination débordante et originale» caractérise le second.

Et le dénominateur commun du génie et de la poésie? «L’écriture, répond M. Plamondon, est à la base de la démarche créatrice de mes travaux de recherche en modélisation neuromusculaire, de ceux liés à la conception de systèmes de vérification automatique de signatures et mon moyen d’expression artistique.»

Découverte prometteuse

Originaire de Saint-Raymond de Portneuf, M. Plamondon a fait des études de physique et de génie électrique à l’Université Laval avant d’être engagé en 1978 par l’École Polytechnique. Parallèlement à ses fonctions administratives, il dirige le laboratoire Scribens, qui se consacre à l’analyse de l’écriture manuscrite par ordinateur. Son expertise dans le domaine est internationalement connue. Il a entre autres établi une formule mathématique qui permet de comprendre le lien entre le cerveau et les gestes complexes, notamment les mouvements associés à l’écriture. Son équipe travaille présentement à la mise au point d’un système de vérification des signatures.

«Les travaux, à l’origine de deux brevets, pourraient trouver des applications dans divers domaines, par exemple la sécurité informatique, les neurosciences et la psychophysique, signale Réjean Plamondon. La technologie pourrait aussi être fort utile en orthopédagogie puisque l’analyse des paramètres de l’écriture permet de cerner et d’évaluer les difficultés que peut éprouver un enfant dans le contrôle de l’écriture.»

Invité au Canada et en France à titre de conférencier pour parler de ses recherches, M. Plamondon admet éprouver un plaisir particulier lorsqu’il est appelé à faire la promotion de la science et de la poésie. Depuis ses succès littéraires, les occasions se multiplient. Au cours de la semaine qui a précédé l’entrevue avec Forum, l’universitaire est justement revenu de Québec, où, à l’occasion de l’activité «La science se livre», il avait été invité à faire découvrir la poésie cachée derrière les réalisations scientifiques.

Recherche et créativité

L’écrivain situe la poésie à cent lieues des formules creuses et de la communication aseptisée de nos rapports sociaux. Sur un point, toutefois, il est intraitable: la poésie telle que la définit le dictionnaire («art du langage visant à exprimer ou à suggérer par le rythme [...] l’harmonie et l’image») ne se limite pas aux mots. Elle se manifeste, selon lui, de diverses façons: dans la musique, la peinture et même la science.

«Le scientifique extrait lui aussi des images poétiques du monde qui l’entoure. Certes, l’écriture scientifique est moins musicale, reconnaît le professeur Plamondon, mais la créativité est probablement aussi importante en recherche qu’en création littéraire… Le travail du chercheur exige des capacités d’innovation à la fois dans la technique et dans la pensée.»

Pour lui, le défi ne réside pas simplement dans le maniement de la rime et du sonnet, il consiste en quelque sorte à vulgariser la science. Un extrait de Écritude, un ouvrage paru aux Éditions du Noroît, décrit bien la relation qu’il entretient avec l’écriture et la science: «Tout corps / qui bat / au rythme / du bonheur / retarde / la fuite / de ses heures.» Un autre poème, tiré d’un recueil à paraître aux Écrits des Forges, invite pour sa part à prendre le temps de s’arrêter: «L’espace / nous passe / des messages / que seul le temps / peut saisir / pour peu / que l’on s’arrête / avec lui.»

Mais dans quel état le scientifique écrit-il de la poésie? «J’essaie de ne pas me fixer dans des habitudes, répond M. Plamondon. L’écriture poétique est un travail d’observation et d’écoute de soi. Comme je ne sais jamais quand l’inspiration va surgir, j’ai toujours un calepin dans la poche de mon veston.» L’inconvénient, c’est que la grâce créatrice se manifeste souvent lorsqu’il nage ses deux kilomètres par jour à la piscine du CEPSUM.

«Je n’ai pas encore trouvé de solution à ce problème», dit le directeur général de l’École Polytechnique en souriant.

Dominique Nancy



 
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