Le Dr Jacques Corman, chirurgien-transplanteur qui a consacré sa carrière à la greffe et à la sensibilisation des gens au don d’organes, refuserait, pour le moment, de se faire greffer un organe animal. «Il subsiste trop d’incertitudes scientifiques, notamment quant à la transmission de maladies virales», estime cet éminent médecin qui effectuait encore des chirurgies à l’hôpital Notre-Dame il y a quatre ans à peine et qui a enseigné pendant 25 ans au Département de chirurgie de la Faculté de médecine.
Si le Dr Corman manifeste des réticences, c’est que la xénotransplantation (transplantation d’organes d’animaux chez l’homme) risque d’amener de nouveaux virus qui pourraient créer des dommages imprévisibles et dévastateurs à l’échelle humaine. Il ne dit pas d’arrêter les recherches. «Au contraire, c’est sans doute l’avenue la plus prometteuse.» Mais il considère qu’il ne faut pas faire d’interventions cliniques pour l’instant. Une affirmation qui fait écho aux recommandations de l’Association canadienne de santé publique (ACSP), qui a mené en 2001 des consultations auprès des Canadiens sur le sujet.
Selon le rapport de l’ACSP, diffusé en janvier dernier, l’opinion publique exprime beaucoup de réserves sur la xénotransplantation. «Outre les risques immunologiques et de xénozoonoses, il y a également des questions d’ordre éthique et juridique à prendre en considération, signale le Dr Corman. Par exemple, a-t-on le droit de modifier le patrimoine génétique des animaux pour faciliter leur utilisation en vue de xénotransplantations? Nul ne peut répondre facilement à cette question.»
Pénurie d’organes
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Le Dr Jacques Corman voulait devenir médecin de campagne. Après avoir assisté à la première transplantation rénale réalisée en Belgique, il décide de devenir chirurgien-transplanteur. |
Une chose est certaine: la demande d’organes dépasse l’offre; il nous faut donc envisager d’autres solutions viables, allègue le chirurgien-transplanteur. «Actuellement, le public est favorable au don d’organes et on observe un pourcentage élevé de Canadiens qui ont signé leur carte de don. Malgré tout, le taux de prélèvement d’organes cadavériques au pays n’est que de 15 par million d’habitants. Même si le Canada réussissait à avoir un nombre de donneurs aussi élevé qu’en Espagne — pays où le taux de prélèvement d’organes est deux fois supérieur—, la pénurie d’organes susceptibles d’être greffés, soit le cœur, le foie, les poumons, les reins et le pancréas, continuerait de s’aggraver compte tenu du vieillissement de la population et de l’élargissement des indications.»
Existe-t-il d’autres raisons au manque d’organes? «Oui, répond le Dr Corman. Mais il faut comprendre que seulement 15 % des décès surviennent dans des conditions favorables au don d’organes.» Pour que le prélèvement puisse être envisagé, les médecins doivent diagnostiquer la mort cérébrale, condition absolue au prélèvement chez le donneur cadavérique. Or, cette mort survient généralement à la suite d’accidents de la route ou de graves attaques cardiaques ou cérébrales dans des endroits où l’on ne dispose pas de ressources nécessaires à l’établissement du diagnostic et au maintien du donneur potentiel en état de vie artificielle.
Autre difficulté: aborder la question du don d’organes avec les familles en deuil est une tâche délicate et certaines équipes médicales éprouvent des réticences à le faire. «On ignore combien de donneurs potentiels sont ainsi perdus puisque la plupart des hôpitaux ne comptabilisent pas encore ce genre de données.»
Parmi les stratégies acceptables pour remédier à la pénurie, le Dr Corman est d’avis qu’il faudrait favoriser davantage la contribution des donneurs vivants. «Il est aujourd’hui possible de greffer des portions de foie et de poumon. Mais cette chirurgie comporte un aspect éthique important en raison des risques plus élevés qu’elle fait courir au donneur comparativement à la transplantation d’un rein.»
Une autre avenue réside dans la mise au point des prothèses mécaniques de substitution, mais ces techniques relèvent, pour le moment, du domaine expérimental. Finalement, les mesures de prévention doivent continuer à être promues afin de limiter la progression de certaines maladies.
Un autre chapitre de vie
Originaire de Belgique, Jacques Corman a émigré au Québec en 1973 après des études en médecine à l’Université de Louvain et un séjour de deux ans et demi au Colorado, où il a perfectionné ses techniques de chirurgien-transplanteur. Cet amoureux de la nature, qui est tombé sous le charme des grands espaces québécois au cours d’un stage effectué en 1966 à l’hôpital Notre-Dame, décide de revenir chez ses cousins francophones pour participer au développement d’une unité de transplantation multiorgane mise sur pied au CHUM par un autre Belge, le Dr Pierre Daloze.
Avec sa femme, Hélène Detry, et leurs cinq enfants, le Dr Corman s’installe à Saint-Hilaire, «un paradis sur terre», selon le chirurgien-transplanteur. Il effectue des greffes de reins, de foies et de pancréas en plus d’enseigner au Département de chirurgie de la Faculté de médecine. Le Dr Corman joue aussi un rôle prépondérant dans la création de Québec-transplant (l’organisme responsable de gérer la liste d’attente des greffes d’organes de la province), dont il est le président-directeur général de 1991 à 1994, puis le directeur médical jusqu’en 1998.
À 64 ans, il ne cache pas qu’il est fier du chemin parcouru, de la structure et du protocole éthique qu’il a contribué à mettre en place pour assurer l’accès à une transplantation rapide, sécuritaire et équitable à toute personne en attente d’une greffe d’organe. Dans le monde de la transplantation, Québec-transplant fait figure de pionnier en la matière. En 2001, l’organisme affichait 440 greffes à partir de 136 donneurs cadavériques et 44 donneurs vivants.
Le Dr Corman recevait dernièrement un prix de la Fondation canadienne du rein en reconnaissance de son apport exceptionnel à l’avancement des connaissances scientifiques et des pratiques médicales dans le domaine des transplantations d’organes.
Depuis 1998, le Dr Corman a cessé ses activités professionnelles pour se consacrer à sa famille, à la peinture, à la photographie, au jardinage et à la musique. Il fait de la musique de chambre avec ses filles et son fils et, avec sa femme, il s’occupe de l’Association des orchestres de jeunes du Québec.
Un autre chapitre de vie qui commence sur une bonne note…
Dominique Nancy