En entrant dans une cellule du pénitencier fédéral de la montée Saint-François, à Laval, Patricia Plasse, étudiante en criminologie, a un choc. «Ce n’est pas humain. Même si ce sont des criminels, ce n’est pas acceptable de les traiter ainsi», laisse-t-elle tomber. Cette prison n’est qu’un établissement à sécurité minimale, mais il faut admettre que les cellules sont petites, mal aérées et mal éclairées. On n’est pas mécontent de poursuivre la visite après quelques instants.
L’agent de libération qui reçoit le groupe d’étudiants ce jour-là, Jean-Claude Renaud, a appris son métier «sur le tas», mais plusieurs de ses collègues sont criminologues. Les services correctionnels canadiens, avec 15 000 employés, constituent un des employeurs majeurs pour les diplômés universitaires en criminologie. Avec ses 30 ans d’expérience, dont la moitié à Saint-Vincent-de-Paul (le plus vieux pénitencier du Québec), notre hôte nous guide à travers la salle d’audience, la cuisine, le gymnase, les unités spéciales et les ailes où sont situées les cellules. Dans cette prison, les détenus ont une relative liberté. La plupart occupent un emploi rémunéré à l’intérieur des murs et gagnent un salaire quotidien de 6,90 $. Quelques-uns peuvent même sortir de l’établissement sous certaines conditions. Lorsqu’ils sont dans le pénitencier, ils doivent se trouver dans leur cellule afin de répondre aux comptes de 12 h, 17 h, 23 h et 5 h. À midi, l’appel se fait debout, de façon à éviter qu’un mannequin remplace le prisonnier dans son lit.
Une bonne partie de la population carcérale de l’établissement lavallois est formée d’agresseurs sexuels. Autre particularité: 80 prisonniers sur 209 ont plus de 50 ans. Plusieurs se déplacent en fauteuil roulant. Cela pose des problèmes particuliers lorsque ces détenus ont des ennuis de santé, dit M. Renaud. Une aile spéciale de la Cité de la santé, à Laval, a été aménagée pour accueillir les prisonniers. Sinon, ceux-ci peuvent consulter un infirmier chaque matin, de 7 h 30 à 8 h.
De la théorie à la pratique
Jean-Claude Renaud explique en quoi consiste le quotidien d’un agent de libération de second niveau: rencontres avec les prisonniers, étude des dossiers, rédaction de rapports. Quelques étudiants diront après la visite que l’aspect bureaucratique de la fonction les a un peu déçus. «C’est très utile d’effectuer ce genre de visite, commente David Dubois. À l’Université, on apprend la théorie. Ici, on entre dans le vrai monde… Plusieurs criminologues sont appelés à travailler dans un milieu comme celui-ci. Mieux vaut savoir un peu à quoi s’attendre.»
Jean Dozois, professeur à l’École de criminologie, organise depuis plus de 20 ans ces ministages pour les étudiants du baccalauréat. Les visites sont une part intégrante du cours Criminologie appliquée et institutions, obligatoire au premier cycle. «Environ le tiers de nos étudiants se destinent à l’intervention en milieu carcéral. Un autre tiers se dirige vers la protection de la jeunesse et un dernier tiers opte pour le domaine communautaire. La plupart ne travailleront pas dans un établissement carcéral. Mais nous estimons que tout criminologue doit avoir mis les pieds au moins une fois dans un pénitencier ou une prison», affirme-t-il.
Durant ce cours, chaque étudiant doit se rendre dans quatre établissements, deux en milieu juvénile et deux en milieu adulte, et produire des rapports de visite. «Il est arrivé que des étudiants modifient leur choix de carrière après avoir effectué ces visites, observe M. Dozois. Soit qu’ils avaient une vision très hollywoodienne du milieu carcéral et que la réalité les a repoussés, soit au contraire qu’ils y ont découvert un monde auquel ils veulent se consacrer professionnellement.»
Dans les années 80, l’École de criminologie était la seule à Montréal à organiser de telles visites. La démarche a par la suite été imitée, notamment par les cégeps qui offrent la formation en techniques policières. Parfois, des étudiants ont déjà une connaissance du milieu carcéral à leur entrée à l’Université. C’était le cas pour quelques-uns de ceux qui se sont présentés au pénitencier de Laval le 22 mars dernier, alors que Forum a pu, grâce à une autorisation exceptionnelle, accompagner le groupe. Une étude des services policiers est préalable à toute autorisation.
Les étudiants ont été unanimes à dire que le cours avait son utilité dans le cadre d’un diplôme de premier cycle. «On ne parle pas ici des stages en milieu professionnel mais d’un premier tour d’horizon», signale M. Dozois.
Des logements pour prisonniers
L’établissement de la montée Saint-François, dont les détenus ont au moins deux ans de peine à purger, innove en offrant aux détenus la chance d’habiter aux «logements K». Il s’agit d’une aile spéciale, aménagée à l’extérieur de l’immeuble principal, qui a toutes les caractéristiques d’un immeuble d’habitations comme on en trouve à Rosemont ou dans la Petite-Patrie. L’immeuble abrite 10 logements comptant huit colocataires chacun. Les chambres sont semi-privées mais le salon et la cuisine sont communs.
«Les prisonniers ont du mal à vivre ensemble, explique M. Renaud. C’est pour les habituer à cohabiter que ces logements ont été mis à la disposition de ceux qui en font la demande et qui se comportent correctement.»
Chaque semaine, les colocataires doivent s’entendre sur le choix de la nourriture. La facture ne doit cependant pas dépasser 280 $. «S’ils veulent des steaks, c’est libre à eux. Mais il ne restera pas grand-chose pour le reste de la semaine», signale M. Renaud.
Le pénitencier est aussi reconnu pour ses programmes de réinsertion sociale (notamment la prise en charge de la toxicomanie et le contrôle de la violence physique), élaborés par des psychoéducateurs, des psychologues et des criminologues.
Les choses ont bien changé depuis l’invention de la prison moderne, au début du 19e siècle. Le plus vieux pénitencier du Québec, Saint-Vincent-de-Paul, construit en 1873, a longtemps eu une réputation peu enviable. Dans la chapelle, les prisonniers assistaient à la messe sous le regard de gardes armés. Et l’on ne faisait pas grand cas des plaintes des prisonniers, qui pouvaient mourir d’une simple crise d’appendicite.
Mathieu-Robert Sauvé