Édition du 6 mai 2002 / Volume 36, numéro 28
 
  Internet: coupable ou non coupable?
Le cybertribunal du CRDP passe à la deuxième génération.

Sur Internet, le consommateur peut acheter des produits en provenance des quatre coins du monde sans quitter son foyer. Mais qu’advient-il si le lecteur de disques compacts commandé à un cybermarchand californien s’avère défectueux à la livraison? Si le commerçant refuse de vous rembourser? Devrez-vous engager un avocat à 200 $ l’heure? Le lecteur en vaut 150... US.
Karim Benyekhlef et Pierre Trudel, professeurs à la Faculté de droit et chercheurs au Centre de recherche en droit public (CRDP), ont lancé en 1998 le cybertribunal, un projet qui visait à régler ce type de conflits directement sur Internet. Le pari était audacieux: réunir en ligne les parties opposées ainsi qu’un tiers impartial, soit un médiateur virtuel.

Le cybertribunal permet d’évacuer la dimension émotionnelle, explique Karim Benyekhlef.

«Les gens étaient sceptiques à l’idée qu’on puisse résoudre des conflits en ligne», se souvient le professeur Benyekhlef. Mais l’équipe montréalaise vient de recevoir une nouvelle subvention de la Commission européenne (CE) pour mettre au point la deuxième génération de leur tribunal virtuel. En plus de susciter l’intérêt de certaines organisations internationales, le cybertribunal a réglé une centaine de différends. Les chercheurs de l’Université de Montréal collaborent avec des collègues français, belges, irlandais, espagnols et allemands.

 
Ecodir.org

Pour avoir recours aux services d’Ecodir.org, le site de résolution des conflits, le consommateur remplit d’abord un formulaire où il explique les détails de la transaction et les raisons de sa plainte. Un courriel est ensuite envoyé au cybermarchand afin d’informer ce dernier de la démarche du consommateur. Le cybermarchand est invité à présenter sa version des faits. Les parties peuvent s’entendre dès cette étape, simplement en communiquant entre elles, affirme le professeur Benyekhlef. Mais si le conflit persiste, un médiateur est invité à participer aux échanges et à proposer des solutions. Si les discussions s’enlisent, le médiateur fait alors une recommandation plus vigoureuse.

Aucune des deux parties n’est tenue de se plier à la recommandation du médiateur. Alors, comment s’assurer que le cybermarchand se soumettra de bonne foi à la démarche? «Les compagnies qui font des affaires sur Internet doivent inspirer confiance, avance le professeur Benyekhlef. Un consommateur qui a été floué peut dénoncer le cybermarchand sur le Web et mettre en péril la réputation de l’entreprise. Pour cette raison, le cybermarchand a tout intérêt à collaborer.»

Les sceaux de cyberqualité aideront la cause des tribunaux virtuels. «De plus en plus, les compagnies qui font du commerce sur Internet affichent des labels de qualité sur leur site pour rassurer les consommateurs. Éventuellement, une des conditions nécessaires à l’obtention du sceau pourrait être de respecter les processus de résolution de conflits en ligne.»

Service gratuit

Actuellement, les services qu’offre Ecodir.org sont gratuits. Le financement de la CE et le travail bénévole des médiateurs assurent l’accessibilité au service. «L’imposition de frais modérateurs est envisagée pour éviter les plaintes frivoles, mais nous voulons que le service demeure abordable pour les petits consommateurs.»

Selon Karim Benyekhlef, il est clair que le tribunal virtuel revêt plusieurs avantages. «La formule permet d’évacuer la dimension émotionnelle. Dans un procès, les luttes deviennent parfois très personnelles. Sur Internet, on demeure plus détaché et plus rationnel.» Les médiateurs n’ont aucun lien avec les parties et proviennent d’un pays tiers.

En haussant la confiance des consommateurs sur Internet, le professeur croit pouvoir donner un sérieux coup de pouce au commerce électronique. Mais il voit encore plus loin. «Un jour, il deviendra plus compliqué de régler un conflit avec le marchand du coin qu’avec un commerçant situé à l’autre bout de la planète. La cour des petites créances existera sans doute toujours, mais le recours au tribunal virtuel deviendra plus avantageux.» Une fois de plus, des sourires sceptiques se dessinent. Mais Karim Benyekhlef est confiant. Le chercheur a déjà gagné la première manche…

Dominique Forget
Collaboration spéciale





 
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