Le 15 mai prochain sera entendue à la Cour supérieure du Québec une cause déposée par Daniel Turp, professeur à la Faculté de droit, et 15 étudiants de l’Université de Montréal qui estiment que le gouvernement du Canada a commis une erreur de droit international le 19 janvier dernier. Ce jour-là, un groupe tactique des Forces canadiennes a capturé des suspects au cours d’une action militaire en Afghanistan. Ces personnes ont été arrêtées, détenues puis remises à la 187e brigade Combat Team de l’armée américaine, qui les a envoyées à la base de Guantánamo, à Cuba, où elles sont enfermées depuis dans des conditions défiant les traités internationaux. En vertu des lois américaines, elles risquent la peine capitale.
«Le gouvernement du Canada n’a pas respecté ni fait respecter le droit international humanitaire en agissant de la sorte, car il n’a obtenu aucune garantie que les prisonniers seraient traités conformément à la convention de Genève», déclare Daniel Turp en entrevue à Forum.
Les suspects détenus à la base de Guantánamo n’ont pas le droit de choisir leur avocat, ne peuvent faire appel et seront jugés par des magistrats que le président des États-Unis ou son ministre de la Défense aura nommés. «They are killers; they are terrorists», a dit le président George W. Bush à leur sujet. Cela entache sérieusement son impartialité.
«Il s’agit d’un triste précédent, commente Alexandre Bergevin, étudiant à la maîtrise à la Faculté de droit et avocat spécialisé en droit pénal international. Les droits fondamentaux des prisonniers de Guantánamo sont bafoués, et les Canadiens doivent refuser d’être les complices des violations des traités internationaux par leur gouvernement.»
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Quinze étudiants de l’Université de Montréal, accompagnés par Daniel Turp, viennent de déposer une requête contre le gouvernement du Canada qui, à leur avis, a négligé ses propres traités internationaux en ce qui concerne le transfert des prisonniers afghans à l’armée américaine. |
Respecter ses traités
La convention de Genève du 12 août 1949 sur le traitement des prisonniers de guerre est intégrée depuis longtemps aux lois canadiennes et les forces armées sont tenues de la respecter. Une clause précise que le Canada doit s’assurer que ses partenaires — dont les États-Unis — adhèrent à cette convention. Le Canada a donc le devoir non seulement d’appliquer les traités comme la convention de Genève, mais aussi d’en promouvoir leur application. D’un côté comme de l’autre, le Canada n’a pas agi correctement. C’est ce qu’affirme le groupe, qui a déposé sa plainte le 12 avril au palais de justice de Montréal.
«Qu’est-ce que ça donne de signer des traités internationaux si l’on ne les respecte pas?» interroge Sylvain Poirier, un étudiant en études internationales et un des signataires de la plainte. La requête vise le premier ministre canadien, Jean Chrétien, ainsi que le ministre de la Défense, Art Eagleton, le ministre des Affaires étrangères, William Graham, et le procureur général, Martin Cauchon.
La «guerre au terrorisme» ne doit pas emporter dans son sillage les valeurs que les États libres se sont données en matière de droits de la personne, ajoute Karin Wollank, une étudiante allemande qui signe la plainte à titre de tutrice de ses enfants, citoyens canadiens. «Il est inacceptable que ce soit le président américain ou son ministre de la Défense, Donald Rumsfeld, qui choisissent les avocats des accusés. Ils ne sont pas impartiaux. Les prisonniers sont condamnés d’avance», affirme-t-elle.
Des informations secrètes
La requête comporte un autre volet relatif au secret entourant le transfert des prisonniers des Forces canadiennes à l’armée américaine. «Nous demandons à la Cour de déclarer inconstitutionnels les instruments juridiques, actuellement tenus secrets, ayant permis ce transfert», précise le professeur Turp.
Il ne s’agit aucunement de signifier un appui aux responsables des attentats du 11 septembre, tient à préciser ce spécialiste du droit constitutionnel et du droit international qui a été député du Bloc québécois pendant quatre ans. Mais à son avis, le Canada ne peut ignorer les lois qu’il a lui-même promulguées et intégrées à sa constitution. «Le Canada doit respecter les ententes qu’il signe, et nous déposons cette plainte pour le lui rappeler.»
Ce sont les étudiants du cours Droit international de la personne qui sont à l’origine de cette initiative. Le professeur commence habituellement son cours par un échange sur des questions liées à l’actualité. Lorsque le cas des prisonniers de Guantánamo a été évoqué et que le transfert a été rendu public par le Globe and Mail, les débats ont été plus houleux qu’à l’habitude. Daniel Turp a mentionné qu’il existait des moyens légaux pour des citoyens désireux de faire entendre leur voix et les étudiants ont saisi l’occasion. «Nous avons pensé que cela serait une bonne occasion de tester les tribunaux canadiens sur cette question de droit international», signale Sylvain Poirier. C’est aussi un bon moyen de sensibiliser l’opinion publique.
Cette requête en jugement déclamatoire déposée par un groupe d’étudiants et leur professeur serait sans précédent au Canada.
Mathieu-Robert Sauvé