Édition du 6 mai 2002 / Volume 36, numéro 28
 
  Danger: hommes au volant!
Jacques Bergeron a mené une série d’études sur les conducteurs qui affectionnent la conduite dangereuse.

En marge du Grand Prix, le professeur Jacques Bergeron a livré à Forum, dans un simulateur de conduite, les derniers résultats de ses recherches sur la conduite dangereuse.

Des études statistiques démontrent que les femmes sont davantage impliquées dans des collisions routières que les hommes à kilométrage égal. Mais ceux-ci causent plus d’accidents mortels ou à l’origine de blessures graves. Pour Jacques Bergeron, directeur du Laboratoire de simulation de conduite et professeur au Département de psychologie, le phénomène s’explique surtout par des facteurs d’ordre psychologique.

«Quand on demande à un conducteur masculin d’évaluer ses habiletés par rapport à un groupe de 30 personnes du même âge et du même sexe, on trouve peu de variations entre les autoévaluations, dit-il. Chacun a tendance à s’estimer meilleur conducteur que son voisin. Dans les mêmes circonstances, les jugements des femmes sont plus nuancés. Elles se perçoivent elles aussi en général comme de meilleures conductrices, mais leur conception d’une “bonne conductrice” renvoie davantage à la prudence qu’à l’habileté.»

Résultat? Les hommes prennent plus de risques au volant. «Selon les perceptions de la majorité d’entre eux, la vitesse ne constitue pas un problème puisque chacun se perçoit comme un habile conducteur, apte à conduire rapidement et à éviter les accidents», souligne Jacques Bergeron. Pourtant, on sait qu’une vitesse élevée devient souvent un facteur aggravant dans une collision: les temps de réaction sont plus longs, la distance de freinage est accrue et la force de l’impact aussi.

Mais rouler le pied au plancher exerce un attrait particulier auquel il est bien difficile de résister… surtout chez les jeunes. La vitesse est à l’origine de 25 % des décès et de 19 % des blessures graves, selon la Société de l’assurance automobile du Québec. Il s’agit de la deuxième cause majeure d’accidents après l’alcool au volant, responsable lui de près de 40 % des décès sur les routes, soit plus de 300 morts annuellement. «Une véritable hécatombe», selon les propres mots du chercheur. «Malgré les campagnes de prévention et les mesures de répression, certains semblent insensibles aux dangers que présentent la vitesse et l’alcool au volant.»

Qui sont ces conducteurs qui affectionnent tant la conduite dangereuse? Les analyses effectuées depuis 1990 sur les dossiers des milliers de récidivistes qui chaque année sont condamnés pour une seconde infraction liée à l’alcool au volant incriminent 10 fois plus d’hommes que de femmes parmi ces conducteurs à haut risque, répond M. Bergeron. «Contrairement à une croyance répandue, ce ne sont pas les jeunes conducteurs qui composent cette population mais ceux âgés de 30 à 45 ans.» Chez les jeunes de 18 à 35 ans, groupe à risque par excellence pour ce qui est de l’excès de vitesse, on trouve également beaucoup plus d’hommes que de femmes. «Même si elles peuvent, elles aussi, manifester de l’impatience et de l’intolérance au volant, les conductrices ont tendance à être plus prudentes et à faire moins de manœuvres dangereuses comme dépasser à droite ou brûler un feu rouge.»

Une question de perception

Depuis plus de 15 ans, Jacques Bergeron mène des recherches sur le comportement des automobilistes. Grâce à une Honda Civic, une Chevrolet Lumina et une Tracker, installées dans le Laboratoire de simulation de conduite, le professeur Bergeron et des étudiants des deuxième et troisième cycles ont étudié la conduite en état d’ébriété, le stress et l’agressivité au volant, la vigilance, la perception de la signalisation… Les distinctions entre les sexes quant aux habitudes de conduite relèvent de ces nombreuses expériences faites au cours des années.

Ces études font également ressortir qu’il n’y a pas de différence entre les hommes et les femmes du point de vue des compétences au volant et de la rapidité des réflexes. «Les tests de conduite et les évaluations neuropsychologiques d’habiletés sensori-motrices et cognitives révèlent des aptitudes similaires tant dans la maîtrise du véhicule que dans les temps de réaction et de décision, affirme Jacques Bergeron. Par contre, lorsqu’on interroge les sujets par questionnaire sur leur caractère, leurs comportements et leurs motivations quand ils sont derrière un volant, on note des distinctions significatives quant aux attitudes et aux perceptions.»

Pour beaucoup d’hommes, le «bon conducteur» est une personne habile capable de prendre des risques. Le fait qu’ils deviennent parfois de véritables délinquants sur la route témoignerait de l’importance qu’ils accordent à être perçus comme des chauffeurs compétents, selon le psychologue. «Les femmes, elles, considèrent davantage la prudence et le contrôle du véhicule comme des critères essentiels de l’habileté», précise-t-il. À son avis, la façon dont une personne conduit son véhicule reflète par ailleurs son comportement dans la vie en général. «Sans être les seuls facteurs, l’agressivité et l’impulsivité y jouent un rôle prépondérant.»

Un laboratoire bien équipé

Des centaines d’hommes et de femmes se sont portés volontaires pour évaluer leurs habiletés au volant dans un des trois simulateurs de conduite du laboratoire de Jacques Bergeron. Les installations, estimées à plusieurs centaines de milliers de dollars, comprennent aussi des polygraphes, qui peuvent prendre diverses mesures physiologiques de stress, dont le rythme cardiaque et la conductance électrodermale.

Assis dans un de ces véhicules, munis d’appareils électroniques reliés à des microprocesseurs (cachés sous le capot) capables entre autres d’enregistrer jusqu’à 50 mouvements du volant par seconde, les sujets peuvent conduire comme sur une véritable route grâce à un écran qui projette des images de situations routières interactives. Par exemple, une chaussée glissante. «C’est une condition difficile à tester en conduite réelle, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité», signale le chercheur associé au Centre de recherche sur les transports.

Mais jusqu’à quel point un simulateur peut-il constituer un bon moyen d’évaluation des aptitudes et des attitudes de conduite? «La validité de l’instrument a été évaluée à plusieurs reprises, notamment dans une récente étude comparative des comportements à bord d’un simulateur en temps réel et sur la route. Après 25 minutes de simulation, les compétences et agissements sont dangereusement similaires…»

Dominique Nancy




 
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