Édition du 21 mai 2002
 
  À la rescousse des tortues indigènes
Une équipe aménage des sites de ponte tout confort pour sept espèces.

Nathalie Tessier est une des rares herpétologistes (une spécialiste des reptiles) au Québec.

Au moins trois portées de tortues sont nées l'été dernier dans des sites de ponte aménagés sur la rivière des Outaouais par la biologiste Nathalie Tessier, stagiaire postdoctorale au Département de sciences biologiques. «Elles vont retrouver leur habitat naturel et, peut-être, revenir pondre au même endroit lorsqu'elles seront adultes», affirme la spécialiste rattachée au Laboratoire d'écologie moléculaire et d'évolution. Il s'agit de tortues peintes (deux portées) et de chélydres serpentines.

Son projet de recherche, sans précédent, consiste à déterminer les conditions optimales pour la ponte et l'éclosion des œufs de ces reptiles méconnus dont la survie n'est pas assurée à cause des menaces qui pèsent sur leurs milieux naturels. Chaque année, une multitude d'animaux sont heurtés par des véhicules ou mangés par des prédateurs comme le raton laveur. D'autres sont victimes de la pollution, de la destruction des milieux humides ou de l'inondation des berges qu'entraîne la construction de digues ou de centrales hydroélectriques.

C'est dans la région de l'Outaouais qu'on trouve la plus grande variété de tortues indigènes au Québec, soit sept des neuf espèces. La tortue molle à épines est une «espèce menacée», la tortue ponctuée a un «statut préoccupant» et toutes les autres pourraient figurer sur la «liste des espèces susceptibles d'être désignées menacées ou vulnérables» que tient à jour la Société de la faune et des parcs du Québec. Même à la réserve de Plaisance, près de Gatineau, l'affluence des campeurs met certaines espèces en danger. «Les tortues que nous observons au Québec sont à la limite nord de leur distribution. Elles sont depuis 20 ans sur la liste des espèces menacées aux États-Unis. Ici, on ne s'entend pas encore pour leur accorder une protection spéciale.»

Tout le monde sait qu'il est interdit d'importer des animaux exotiques quand on revient d'une croisière dans le Sud, mais les vacanciers québécois n'ont pas de scrupule à capturer une tortue sauvage pour la ramener en ville. Or, la capture des reptiles est strictement défendue. L'ignorance de la population est telle que, l'an dernier, un homme a «testé» la solidité d'une carapace de chélydre serpentine avec… sa camionnette. Évidemment, la bête est morte.

Ceci dit, les biologistes eux-mêmes l'avouent: on ne connaît pas grand-chose sur les tortues indigènes d'Amérique du Nord, particulièrement sur leurs mœurs reproductrices. «Une revue de la littérature a révélé que peu d'études ont porté sur la ponte, signale l'herpétologiste. Notre recherche peut donc s'avérer utile sur le plan des connaissances scientifiques et au chapitre de la conservation.»

Des sites tout confort

Pour les besoins de cette étude financée par différents organismes à vocation écologiste, Nathalie Tessier a fait transporter plusieurs chargements de poids lourds dans trois sites sélectionnés de l'ouest québécois: Masson-Angers, Bristol et la réserve faunique de Plaisance. Pour le confort des tortues, les biologistes ont utilisé divers substrats: du sable, du gravier et le sol naturel. Les aménagements ont été couverts d'un grillage qui permet toutefois à la tortue de creuser pour enfouir ses œufs, mais pas au raton laveur d'y mettre le nez.

Dès le mois de mai, des appareils enregistrent la température et l'humidité des sites toutes les quatre heures. Comme pour certains amphibiens, la température du sol a une incidence sur la sexualisation des petits. Un été très chaud ou au contraire très frais verra naître plus de femelles de la tortue peinte, alors que les étés moyens donneront plus de mâles.

Sur une période de trois ans, ce projet permettra d'établir les préférences des femelles. Si celles-ci choisissent les sols naturels — deux des trois nids localisés l'été dernier ont été creusés dans ce type de sols —, cela pourrait faciliter les choses. Dans les parcs et réserves, on n'aura qu'à interdire l'accès à certaines parties du rivage afin de favoriser la reproduction de l'espèce. Si les tortues préfèrent le sable ou le gravier, il faudra verser d'autres chargements de bennes sur les plages. «Nous voulons éventuellement mettre au point une technique facile à appliquer pour les gens désireux de contribuer à la survie de l'espèce», dit la biologiste.

La recherche est loin d'être terminée, mais le fait que trois femelles ont déposé leurs œufs dans un site artificiel dès la première année est très encourageant, d'autant plus que l'aménagement a été achevé tardivement. La deuxième année de la recherche pourrait être déterminante.

Nathalie Tessier a beaucoup d'autres projets. Elle envisage notamment une étude internationale sur les tortues de mer. C'est en marge d'un congrès en Asie, l'an dernier, que le directeur du Laboratoire, François-Joseph Lapointe, a eu l'idée de ce sujet. Mme Tessier, qui a une formation de généticienne des populations animales (voir Forum du 15 janvier 2001), possède une expertise précieuse pour l'étude de ces animaux fétiches qui évoluent dans un milieu très fragile.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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