Un étrange phénomène se déroule dans le système reproducteur masculin environ 16 jours après une rupture de la moelle épinière: les hommes deviennent infertiles. Soudainement, le nombre des spermatozoïdes diminue et ceux-ci sont moins mobiles; l'impuissance, les troubles d'éjaculation s'ensuivent. Sans intervention, moins de cinq pour cent de ces hommes parviennent à avoir des enfants.
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Bernard Leduc |
S'ils veulent procréer, les blessés médullaires doivent recourir aux techniques de reproduction médicalement assistée. Le physiatre Bernard Leduc, spécialiste de ces techniques au CHUM et chargé d'enseignement clinique à la Faculté de médecine, estime qu'il est du devoir de la médecine de leur venir en aide. Lui-même a aidé 10 blessés médullaires à devenir pères, dont deux à deux reprises. «Ils ont des enfants normaux et les recherches démontrent qu'ils jouent convenablement leur rôle de parents. La qualité des rapports est comparable à celle qui prévaut dans une famille “normale”. C'est donc un devoir pour nous de leur apporter une aide», a-t-il expliqué au colloque annuel de l'Institut de réadaptation de Montréal (IRM), tenu récemment.
Pour des raisons éthiques, il n'apparaît pas acceptable de proposer à l'homme qui s'est cassé le cou un prélèvement de sperme dans les jours qui suivent l'accident. Son sperme pourrait être congelé en attendant de servir, ce qui améliorerait à coup sûr les chances de succès des interventions futures. «Alors que le malade est aux soins intensifs, la question de la reproduction ne figure pas parmi les priorités», dit l'ancien chef du service des blessés médullaires à l'IRM. Passé les 16 jours fatidiques, il n'y a plus d'urgence à intervenir. Trois mois ou deux ans après l'accident, cela n'influera pas sur le succès des interventions.
ICSI, FIV et cie
Quelle méthode de procréation offre-t-on aux blessés médullaires? L'insémination artificielle avec sperme du conjoint, l'insémination artificielle avec sperme d'un donneur anonyme ou d'autres techniques courantes dans les cliniques de fertilité en milieu hospitalier. Si cela ne suffit pas, il faut aller plus loin et choisir la fécondation in vitro (FIV) ou l'injection intracytoplasmique de spermatozoïdes (ICSI, selon l'abréviation anglaise).
Peu de cliniques au Québec proposent de tels services, qui ne sont pas couverts par la Régie de l'assurance maladie et qui sont fort onéreux: 7500 $ par tentative d'ICSI par exemple. Toutefois, la Commission de la santé et de la sécurité du travail rembourse les frais de l'intervention si la blessure résulte d'un accident de travail et la Société de l'assurance automobile du Québec en fait autant si l'accident s'est produit sur les routes du Québec.
L'ICSI consiste à ponctionner un spermatozoïde directement dans le testicule à l'aide d'une seringue et à l'injecter dans l'ovule. L'embryon est ensuite implanté dans l'utérus. Manifestement, cette technique fonctionne bien puisque, sur cinq hommes qui en ont fait l'essai, trois sont devenus pères.
Des jeunes victimes
Chaque année au Canada, un millier d'hommes subissent une rupture de la moelle épinière, dont le quart au Québec. La plupart sont jeunes et n'ont pas envisagé la possibilité de devenir parents au moment de l'accident. Cette éventualité se présente généralement plusieurs années après.
De 1988 à 2001, 19 blessés médullaires ont été examinés par le Dr Leduc. Quatre sujets n'ont pas été traités pour différentes raisons. Sur les 15 restants, les deux tiers ont concrétisé leur projet parental, ce qui constitue une moyenne respectable puisque le taux de succès d'une technique comme la FIV ne dépasse guère 25 %. L'âge moyen des patients était de 29 ans et tous souffraient de dysfonctions érectiles.
Le Dr Leduc ne voit aucun problème éthique dans le fait d'aider un blessé médullaire à procréer. D'autant plus qu'une étude américaine a déjà montré que les pères paraplégiques ou quadraplégiques sont considérés par leurs enfants comme des pères très convenables, plus présents et plus enthousiastes même que la moyenne des pères «normaux».
Le médecin admet toutefois qu'il aurait un problème de conscience si le couple qui le consulte était formé de fraîche date, disons depuis deux mois. Étant donné la responsabilité qui incombe aux «aidants naturels», il vaut mieux que le couple sache dans quoi il s'aventure avant de donner naissance à un enfant.
Mathieu-Robert Sauvé