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L'entreprise que Bertrand Morin a fondée il y a un an est pionnière en Amérique du Nord dans le traitement à l'azote, une nouvelle technique de transformation du bois qui offre une solution écologique au bois traité à l'arsenic, au cuivre et au chrome. |
«Vous ne trouvez pas qu'il sent le caramel?» Le nez collé sur le bout de bois traité selon un nouveau procédé thermique, Bertrand Morin m'invite à sentir l'échantillon de merisier qu'il tient entre ses doigts. «Le bois est constitué principalement de cellulose, de lignine et d'hémicelluloses, explique-t-il. Lorsqu'on traite ce matériau dans l'azote à haute température, on modifie essentiellement les hémicelluloses, une des formes de glucides du bois. Celles-ci se cristallisent alors sur la cellulose, un polymère qui compose 40 % de la structure du bois. L'odeur de caramel résulte de cette transformation.»
En plus d'avoir un nez fin, l'étudiant au baccalauréat en sciences économiques a le flair pour les affaires. Lauréat d'une bourse d'aide au démarrage d'entreprise de 10 000 $ du Centre d'entrepreneurship HEC-Poly-UdeM, Bertrand Morin vient d'adapter une technologie française de transformation du bois par traitement thermique pour une utilisation en territoire québécois. L'entreprise qu'il a fondée, Thermobois, procède depuis un an à des études afin de maximiser l'efficacité énergétique du procédé et de l'adapter aux différents types de bois qu'on retrouve chez nous. Ces travaux mèneront, l'automne prochain, à l'ouverture d'une première usine dans la région de Shawinigan. «D'une capacité initiale de 12 000 m3, ces installations de production entraîneront pour Thermobois des ventes de plus de 12 M$ », affirme le jeune homme de 26 ans.
Thermobois entend d'abord aborder le marché du bois pour planchers intérieurs. Ce domaine, qui connaît une hausse continue des ventes depuis 1983, représente un marché de plus de deux milliards de dollars en Amérique du Nord, précise le président fondateur. L'entreprise vise aussi le marché de la préservation du bois d'utilisation extérieure. «Avec des ventes continentales de plus de six milliards de dollars, ce secteur est dominé par le bois traité au chromate acide de cuivre (CCA), à l'arséniate de cuivre chromé (ACC) et à l'arséniate de cuivre et zinc (ACZA), des produits dont l'usage est de plus en plus dénoncé en raison de leur toxicité. Plusieurs essences exotiques très résistantes tel le teck peuvent constituer des solutions de rechange, mais leur coût élevé limite leur emploi. Nos produits s'inscrivent comme une solution écologique à un coût moindre.»
Insectes, pourriture et champignons
Mais en quoi consiste ce nouveau procédé thermique? «Il s'agit d'une technologie mise au point par des chercheurs de l'École des mines de Saint-Étienne, en France. Le procédé consiste à chauffer des pièces de bois dans l'azote à une température maximale de 230 à 280 ºC afin d'améliorer les qualités physiques et esthétiques de celles-ci. On augmente ainsi la stabilité dimensionnelle du bois tout en le rendant hydrophobe et plus résistant aux attaques extérieures, notamment celles des insectes et des champignons. Le traitement permet également de donner à toute la masse du bois une teinte particulière définie par ordinateur avant le chauffage.»
Au Canada, les champignons posent un problème plus délicat que celui des insectes. Les marciaumes molles et les basidiomycètes lignivores peuvent être à l'origine d'une perte de résistance du bois; les basidiomycètes sont d'ailleurs responsables de problèmes de pourriture dans les bâtiments. «La biodégradation du bois est le résultat d'une série d'événements, dont une séquence de colonisation fongique, souligne Bertrand Morin. Les champignons lignivores ont besoin du bois comme source d'alimentation, d'une température modérée, d'oxygène et d'eau. Normalement, la teneur en eau est facilement contrôlée. Mais certains champignons peuvent transporter de l'eau dans du bois sec; la gestion de l'humidité est alors plus difficile. Le problème peut prendre une ampleur considérable lorsqu'il y a décomposition étant donné que les champignons produisent de l'eau à partir du processus de la décomposition.»
Le bois traité a conquis un marché gigantesque. Mais le produit comporte des risques. Le seul fait de scier une planche de bois sans protection faciale serait dangereux. La solution d'arsenic, de cuivre et de chrome injectée dans les fibres pour éloigner les insectes et prévenir les moisissures est très toxique. Et que dire de l'environnement? Le bois ainsi traité est potentiellement cancérigène et doit être manipulé avec prudence, selon Santé Canada. La situation est suffisamment problématique pour avoir justifié le remplacement des installations de parcs en bois traité par du mobilier en métal ou en plastique recyclé.
D'ici 2004, la vente du bois traité chimiquement pour un usage résidentiel pourrait même être totalement interdite au pays. En attendant, les manufacturiers et les détaillants ont entrepris une campagne d'étiquetage et d'information sur les précautions à prendre avec le bois traité.
Confiant et dynamique
«Les propriétés des produits de Thermobois s'expliquent de manière très analogue à celles des bois traités au CCA, à l'ACC et à l'ACZA. La différence, c'est que le procédé thermique ne nécessite pas l'ajout de substances chimiques», fait valoir Bertrand Morin. Autre longueur d'avance sur la concurrence, entre autres les bois exotiques de haute densité et de grande durabilité: un coût inférieur et un approvisionnement constant et fiable.
Confiant, le jeune économiste prévoit ainsi accaparer, d'ici cinq ans, un pour cent du marché nord-américain du bois de sciage traité pour utilisation extérieure. Les compétiteurs verront très bientôt de quel bois il se chauffe…
Dominique Nancy