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Même après des centaines d'essais, la vision demeure essentielle à la précision des mouvements, a découvert Luc Proteau, du Département de kinésiologie. |
Une personne qui exécute des milliers de fois le même geste voit-elle diminuer l’importance de l’information sensorielle au point de pouvoir faire le mouvement «les yeux fermés»? Cette interrogation est à l’origine des recherches de Luc Proteau, professeur au Département de kinésiologie. «La très grande majorité des gens pensent — et je le pensais aussi — qu’à force de répéter un geste la vision devient de moins en moins importante dans l’exécution d’un mouvement. C’est faux», dit-il.
Au cours d’une expérience qu’il a menée, des sujets devaient toucher du doigt une cible lumineuse située à 85 cm de leur corps, un geste répété de 200 à 2000 fois sous un éclairage normal. Lorsque les sujets ont été plongés dans le noir, ils se sont comportés comme s’ils n’avaient jamais exécuté ce mouvement; ils ont raté la cible parfois de 15 cm! Conclusion: même après des centaines, voire des milliers d’essais, la vision demeure essentielle à la précision des mouvements. «En fait, plus on accomplit un geste à l’aide de la vision, plus cette vision devient nécessaire à la bonne exécution du geste», explique M. Proteau.
Ses travaux sur le mouvement de visée allaient lui révéler au moins une autre surprise: la précision des mouvements des vieillards vaut celle des jeunes. «Nous avons démontré que la personne âgée est aussi précise que le jeune adulte, explique-t-il. Ce qui varie, c’est la vitesse du traitement de l’information sensorielle, qui diminue avec l’âge.»
Les gestes quotidiens au microscope
Pointer des icones lumineux sur un écran tactile, déplacer une souris d’ordinateur, porter une fourchette de l’assiette à la bouche sont tous des gestes quotidiens qui posent de sérieux défis aux experts du mouvement. «Nous voulons mieux comprendre comment fonctionne le cerveau humain quand il traite une information sensorielle nécessaire aux mouvements, précise Luc Proteau. Nous appelons cela le rôle des afférences sensorielles dans la planification, le contrôle et l’apprentissage du mouvement.»
Avec Léna Lhuisset, étudiante au doctorat, Luc Proteau vient de prouver que les enfants de 6 ans vivent une étape décisive dans leur développement cognitif. Lorsqu’il faut exécuter une tâche de pointage visuo-manuel comme faire bouger une souris pour que le curseur se déplace à l’écran, l’enfant de 6 ans planifie son mouvement par rapport à des coordonnées internes (angles du bras et de l’avant-bras, forces à appliquer, etc.) alors que l’enfant de 10 ans et l’adulte planifient leur mouvement par rapport à des coordonnées externes. «Il y a donc une transition dans la façon d’organiser ce type de gestes en fonction du développement de l’être humain, explique le chercheur. Cet apprentissage n’est pas sans conséquence, la dispersion spatiale des mouvements des enfants de 10 ans étant beaucoup plus grande que ce que nous avons noté chez les enfants de 6 ans. Le développement des habiletés motrices de l’enfant n’est donc pas linéaire.»
Les connaissances acquises dans son laboratoire pourraient avoir des applications en robotique et en médecine, en permettant d’améliorer les fonctions motrices de robots utilisés dans l’espace ou encore de concevoir des implants pour les victimes de lésions cérébrales.
Parcours d’un chercheur
Tout commence en 1987, alors que Luc Proteau poursuit des recherches sur la «stratégie de mouvements en milieu sportif» à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Le jeune kinésiologue a l’impression d’être à peu près le seul au monde à s’intéresser à ce sujet. «Quand je publiais mes résultats, c’était comme si je m’écrivais à moi-même», dit-il en souriant.
Il rencontre durant cette période un collègue de l’Université de Waterloo, avec qui il échange des opinions scientifiques. «Nous étions en désaccord sur tout, sauf sur un point: nous pensions tous deux — comme la majorité des gens — que la vision et l’apprentissage d’un mouvement vont de pair au début, mais qu’à force de répéter un geste cette vision devient de moins en moins importante.»
Luc Proteau décide d’aller vérifier ce que dit la littérature scientifique sur cette évidence et se rend compte que, scientifiquement, rien ne soutient celle-ci! Ses expériences l’amènent à conclure que la vision reste nécessaire pour la précision d’une grande variété de mouvements. Cette découverte sur le rôle des sens dans les mécanismes de l’apprentissage moteur est devenue son nouvel axe de recherche.
Ainsi, à la faveur d’expériences minutieuses, il débusquera tour à tour une série de connaissances fondamentales qui font désormais partie de la kinésiologie moderne. Ses articles sont publiés dans des revues de tout premier ordre en kinésiologie (Journal of Motor Behavior), en psychologie expérimentale (Quarterly Journal of Experimental Psychology) et en neurosciences (Experimental Brain Research).
Luc Dupont
Collaboration spéciale