Édition du 3 septembre 2002 / Volume 37, numéro 2
 
  Rencontre internationale autour des banques d’ADN
Une équipe livrera un énoncé de principes sur la recherche en génétique humaine.

Bartha Maria Knoppers reçoit cette semaine 300 spécialistes mondiaux du génome humain: droit, génétique, sociologie et éthique seront à l’honneur.

Sur le site www.dna.com, les visiteurs sont invités à envoyer un échantillon de sang ou de muqueuse buccale à DNA Sciences, une entreprise privée américaine spécialisée dans «la découverte et la commercialisation de tests diagnostiques basés sur l’ADN».

En un an, la société a obtenu 10 000 échantillons d’autant d’individus provenant de 50 États. Elle a eu tant de réponses qu’elle doit aujourd’hui inscrire les noms des volontaires sur une liste d’attente.

Ce type de banque de données «virtuelle» inquiète les juristes comme Bartha Maria Knoppers qui se demandent comment encadrer sur le plan juridique le transfert d’informations personnelles ou publiques à des fins privées. Non seulement les volontaires de DNA Sciences donnent-ils carte blanche aux chercheurs, mais ils abandonnent une partie d’eux-mêmes pour un temps indéterminé, plusieurs siècles peut-être.

«Il existe différents genres de banques d’ADN, de la base de données nationale sur une population — celles de l’Islande ou de l’Estonie, notamment, intéressent beaucoup les chercheurs — à la banque qui appartient à une entreprise commerciale aucunement désireuse de la rendre publique gratuitement.»

300 chercheurs pour y voir clair

Mme Knoppers, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit et médecine, organise conjointement avec le généticien Claude Laberge la 3e Conférence internationale sur l’échantillonnage d’ADN, du 5 au 8 septembre. Plus de 300 spécialistes des quatre coins du monde convergeront vers Montréal pour participer à cette rencontre interdisciplinaire parrainée par l’UNESCO et le projet Génome humain. Parmi les têtes d’affiche Eric S. Lander, directeur du Whitehead Institute, qui s’était engagé pour favoriser la transparence de la recherche en génétique, prononcera la conférence d’ouverture.

Pour Bartha Maria Knoppers, il s’est produit un changement sémantique majeur entre la conférence précédente, en 1996, et celle de 2002. Dans la décennie 90, on mesurait les conséquences des découvertes en génétique sur la vie privée et la liberté individuelle. Par exemple, comment déterminer le montant d’une assurance personnelle lorsque les prédispositions à des maladies sont fichées dans son dossier? «Aujourd’hui, ces questions ne sont pas encore résolues, mais nous devons nous pencher sur des perspectives plus étendues, plus politiques, signale la juriste. De quelle façon peut-on prévenir les abus envers les communautés humaines, les populations? Il est important de trouver un cadre normatif pour éviter la discrimination notamment.»

Définir un cadre normatif, cela ne signifie pas interdire toute commercialisation. L’Islande, qui a pris conscience ces dernières années de l’immense intérêt que revêt sa population insulaire aux yeux des généticiens du globe, a décidé de faire de son pool génétique une ressource naturelle proprement dite. Désormais, elle exige une participation aux bénéfices si la mise au point de médicaments découle des recherches menées sur son territoire. «Dans un pays du tiers-monde, les retombées pourraient être d’un autre ordre: l’accès au médicament produit par exemple», observe Mme Knoppers.

Un énoncé de principes historique

Avec son collègue Claude Laberge — celui qui l’a initiée aux lois de la génétique dans les années 80 —, la présidente du comité d’éthique du projet Génome humain a rédigé une proposition d’énoncé de principes sur la conduite éthique de la recherche en génétique humaine concernant les populations. Cette proposition sera présentée à la clôture du congrès par M. Laberge, président du Réseau de médecine génétique appliquée et professeur à l’Université Laval. «Nous y avons travaillé pendant deux ans», signale Mme Knoppers. La recherche y sera bien entendu autorisée, mais les bienfaits devront bénéficier au plus grand nombre, particulièrement à la population qui aura permis les découvertes.

Elle n’en dira pas plus, embargo oblige. Mais on peut s’attendre à ce que cette proposition fasse son chemin et trouve un jour sa place parmi les ententes internationales sur la médecine et la biotechnologie. Mme Knoppers, qui a travaillé à la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme en 1997, a acquis une expérience précieuse en la matière.

Quand on lui demande ce qu’elle a gardé de l’adoption de la Déclaration par l’ONU, elle répond qu’elle rêve d’avoir le temps d’écrire un livre sur le sujet. Une de ses déceptions: le projet avorté de voir cette «déclaration» (document sans force de loi qu’adoptent des chefs d’État) devenir une «convention» (accord juridiquement contraignant conclu entre plusieurs nations). «Nous aurions pu y arriver. Un consensus international existait sur l’interdiction du clonage et de la brevetabilité des gènes. Malheureusement, plusieurs pays ont refusé.»

L’amendement du texte par des politiciens et des lobbyistes a aussi peiné la juriste. La formulation de l’article premier de la Déclaration, «Le génome humain […] est le patrimoine commun de l’humanité», a été modifiée pour devenir «Dans un sens symbolique, [le génome humain] est le patrimoine de l’humanité». L’Allemagne n’aimait pas la formule originale, car elle ouvrait la porte à une utilisation totalitaire des connaissances scientifiques. Les États-Unis s’inquiétaient, de leur côté, des contraintes imposées à l’entreprise privée. «Ces deux pays s’opposaient donc à notre formulation, mais pour des raisons diamétralement opposées.»

Cet exemple illustre le grand défi qui attend les juristes, convient Mme Knoppers. «Plusieurs pays possèdent des lois qui encadrent correctement l’usage des données génétiques. Le problème, c’est d’uniformiser le tout. L’Organisation mondiale de la santé doit à mon avis promouvoir cette harmonisation.»
En attendant, la 3e Conférence internationale sur l’échantillonnage d’ADN suscitera certainement le débat.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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