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Françoise Winnik est spécialisée dans l’encapsulage d’agents thérapeutiques nanométriques à tête chercheuse. |
Je suis un composite constitué de longues chaînes de polymères naturels, mêlées à un agent thérapeutique — l’acide acétylsalicylique — et compressées pour former des comprimés solides. Qui suis-je?» Réponse: une aspirine!
C’est la chimiste Françoise Winnik qui propose le point de vue. Cependant, avec elle, il faut s’attendre à entrer dans des composés pharmaceutiques beaucoup plus complexes que l’aspirine. Car cette scientifique est spécialisée dans l’encapsulage d’agents thérapeutiques nanométriques à tête chercheuse, capables de résister à l’artillerie lourde du système immunitaire.
«Je suis une chimiste des polymères, pas une pharmacienne», lance cette femme toute menue, l’une des rares au Québec à se consacrer à la nanotechnologie. En tout cas, son cheminement n’est pas linéaire: elle a travaillé dans des domaines très différents les uns des autres, tels que les cosmétiques et la photocopie! Aujourd’hui, nouvelle étape: la chercheuse rencontre le monde de la pharmacie à l’intérieur du Laboratoire des matériaux mous et nanopharmaceutiques, qu’elle a créé il y a deux ans.
Véhicules chimiques et nanométriques
Discipline issue de la nanotechnologie, qui désigne la miniaturisation extrême d’un procédé ou d’une technique (un nanomètre équivaut à un millionième de milimètre), la nanopharmaceutique met l’accent sur les dimensions infinitésimales des médicaments: comportement moléculaire des agents actifs, enrobages des médicaments, etc. La professeure Winnik s’intéresse particulièrement aux moyens de transport des particules nanométriques, c’est-à-dire à des enrobages de médicaments constitués de matériaux mous. «Ces matériaux, ce sont des polymères aux propriétés presque miraculeuses, dit-elle. On y enferme les agents thérapeutiques pour qu’ils voyagent efficacement dans le corps jusqu’à leur cible, par exemple une tumeur cancéreuse, où ils doivent déverser leur produit.»
Son attirance pour ces polymères remonte au début des années 90. Partout dans le monde, des chercheurs s’étaient alors intéressés à un type de polymère, le poly-N-isopropylacrylamide ou PNIPAM, soluble en eau froide mais non en eau chaude. Ce polymère a la caractéristique de s’ouvrir ou de se fermer suivant les changements de température de l’eau, le point de rupture se situant autour de 31 °C. C’est le prototype même du «polymère intelligent». On a vite saisi son potentiel dans le plus fascinant milieu aqueux qui soit: le corps humain.
C’est ici que les chimistes entrent en scène. «Pour parvenir jusqu’à la cible, on construit le polymère de façon spéciale, c’est-à-dire qu’on le “décore” en y greffant par exemple des substances huileuses, dit-elle. Ces gras deviennent alors les moteurs d’agglomérats et provoquent, par attractions naturelles, la transformation de la longue molécule polymérique en une myriade de fines gouttelettes nanométriques, chacune portant quelques fractions du médicament.»
Dotés désormais d’une coque molle insoluble dans le sang, et conjugués au comportement thermodynamique d’ouverture ou de fermeture, ces polymères acquièrent alors des propriétés inouïes qui leur permettent, tels de petits sous-marins espions, de voyager dans le corps sans subir de dégradations et de franchir des membranes cellulaires qui leur barraient auparavant la route. Et tout cela peut même aller plus loin… Il est possible de greffer sur la surface de ces polymères des substances qui, comme de véritables outils de reconnaissance, leur donnent la capacité de cibler les cellules cancéreuses.
Un cas rare!
Françoise Winnik est un des rares professeurs à enseigner à la fois au Département de chimie et à la Faculté de pharmacie. «Ce sont deux mondes très différents, explique-t-elle. En chimie, vous pouvez n’avoir en tête que la dimension scientifique de votre travail, tandis qu’en pharmacie vous êtes obligé de tenir compte de l’être humain. Les règles du jeu ne sont pas les mêmes non plus. Pour la chimiste des polymères pure et dure que je suis depuis plus de 20 ans, ces allers-retours entre deux disciplines ouvraient des horizons complètement neufs.»
Mme Winnik doit son embauche à la ténacité de Robert Goyer, l’ancien doyen de la Faculté de pharmacie. «Les difficultés d’harmonisation entre ces deux mondes, ce sont les doyens qui en ont payé le prix. Plus que moi ou mes nouveaux collègues», dit-elle en riant.
Elle enseigne la chimie médicinale à des étudiants en pharmacie, de même que la chimie des polymères aux futurs chimistes. Dans son laboratoire, elle accueille autant des diplômés en pharmacie que des diplômés en chimie. Elle a créé un réel environnement interdisciplinaire et où les étudiants acquièrent des compétences multiples de plus en plus appréciées dans le marché du travail comme en recherche.
Françoise Winnik ne veut pas s’arrêter là. Son but est de mettre au point de nouveaux systèmes supramoléculaires de transport de médicaments à partir de ces polymères miracles que sont les PNIPAM. Mais ce n’est pas tout. «Nous sommes actuellement en attente d’une décision de la FCI pour le financement de laboratoires internationaux en partenariat avec des gens de Toronto. Nous voulons implanter un centre international en chimie combinatoire des polymères doté d’équipements automatiques permettant de constituer des «librairies» entières de ces nouveaux produits, parmi lesquels on espère trouver des «véhicules» performants pour la nanopharmaceutique.»
Grâce à ces équipements rares et coûteux, Françoise Winnik pense être en mesure d’attirer au Canada des chercheurs de très haute envergure. Un groupe français du CNRS à Orsay — qui compte deux Nobel, dont Pierre-Gilles de Genne — est actuellement sur les rangs.
Luc Dupont
Collaboration spéciale