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Les initiations ne datent pas d’hier. Ici, un groupe d’étudiants souhaite la bienvenue à un nouveau dans un laboratoire du Pavillon principal. |
Être libres, jeunes et intellectuels.» C’est ainsi que se définissent les étudiants dans une charte qu’ils se donnent en 1961. Il n’en a pas toujours été ainsi.
Quelques décennies auparavant, on ne concevait pas un trimestre sans la présence d’un aumônier à la disposition des étudiants. Au cours du dernier siècle, le «métier d’étudiant» s’est beaucoup transformé.
En 1940, un étudiant a interrogé des hommes et des femmes de tout horizon pour se faire une idée de la perception dans la société du jeune adulte qui fréquente l’université. Les opinions divergent selon la personne interviewée, mais une chose demeure, l’étudiant est vu comme celui qui apprend et qui en retour reçoit des privilèges en vue de constituer l’élite de demain.
Dans les années 20, la messe du Saint-Esprit présidait la rentrée universitaire. Tout était mis en place pour favoriser la pratique religieuse des étudiants et des professeurs. Messe célébrée chaque dimanche, retraite pascale, cours de religion offerts à travers une série de conférences incitaient les étudiants à garder forte leur foi et à respecter les valeurs chrétiennes.
Il faut dire qu’en ce temps-là point ne suffisait de présenter un bon dossier scolaire pour être admis à l’Université de Montréal. Il fallait aussi posséder une moralité sans tache de même qu’une certaine aisance financière. Les conditions d’admission à l’Université stipulent que l’étudiant doit déposer devant la Commission d’immatriculation «un double certificat de moralité, l’un signé par son curé ou son pasteur, l’autre par les autorités de l’université ou du collège qu’il a fréquenté antérieurement». Il doit aussi signer, devant le représentant de la Commission, l’engagement de «ne rien faire qui puisse nuire au prestige de l’université» et d’«observer tous les règlements de l’institution».
Opposition à la hausse des frais de stationnement
Dans la décennie 70, le ton monte. Se percevant dorénavant comme des «travailleurs intellectuels», les étudiants remettent en question la tutelle de l’Église et celle de leurs professeurs. Les débrayages se multiplient: en 1973, grève contre la nouvelle perception des droits de scolarité; en 1974, grève contre la surcharge de travail en sociologie. La même année, les étudiants de l’École Polytechnique débrayent pour contester une augmentation des… frais de stationnement. Lourdeur de la charge de travail, congédiement d’un professeur, hausse du loyer des résidences, modifications aux règlements pédagogiques, augmentation des salaires des employés et compressions budgétaires, toutes les raisons sont bonnes pour descendre dans la rue avec des pancartes.
«L’étudiant qui manque régulièrement ses cours, qui reste dans son “petit coin” deviendra un homme uniquement intéressé à ses affaires», déplorait Vianney Therrien, rédacteur en chef du Quartier latin en 1952. Et M. Therrien de renchérir: «La préparation aux examens, la pratique de quelques sports, la fréquentation des spectacles et les préoccupations sentimentales remplissent tous ses loisirs. Pas un instant pour se préoccuper de son état, de son milieu.»
On voit donc poindre une critique du manque d’engagement des étudiants dans les affaires sociales de leur temps mais aussi dans leur propre association étudiante. La raison de cette inertie? Selon Vianney Therrien, «c’est que nous n’aimons pas notre métier. Nous le subissons chaque jour avec l’espoir non avoué “d’en finir” au plus tôt, d’obtenir le diplôme qui nous ouvrira les portes de la profession.»
Michel MacAndrew, dans Le syndicalisme étudiant québécois paru en 1965, estime lui aussi «que les étudiants des années cinquante n’avaient pas effectué une réelle prise de conscience des problèmes sociaux». Trop souvent concentrées sur les manifestations sportives et culturelles, les associations étudiantes ne se penchaient pas assez sur les problèmes politiques et sur la défense des intérêts des étudiants.
En 1969, la commission Deschênes publie un ouvrage sur les étudiants et leurs préoccupations en annexe au rapport qu’elle dépose à l’Université. Les auteurs distinguent trois types d’étudiants: les «professionnalistes», qui vont à l’université pour apprendre et exercer une profession; les «intellectuels», qui s’y rendent pour satisfaire leur curiosité intellectuelle; et les «activistes», à qui l’université sert de base dans leur désir de contribuer à l’évolution de la société.
Des ateliers sur le métier d’étudiant
Le marché du travail se rétrécissant, les exigences des employeurs augmentent. Les étudiants qui doivent conjuguer travail et études prennent plus de temps pour terminer leurs études et ils quittent l’université plus endettés que jamais. Le stress augmente de même que le décrochage.
Durant les années 90, ce phénomène, qui atteint jusqu’à 42 % des étudiants de premier cycle, est à ce point inquiétant que le Service d’orientation et de consultation psychologique met sur pied des ateliers intitulés «Métier d’étudiant». On y donne, encore aujourd’hui, une série de sept cours qui visent à améliorer les méthodes d’étude et les habiletés d’apprentissage. Au programme: gestion du temps, prise de notes, mémorisation, préparation et passation des examens, gestion du stress, lecture efficace et travaux écrits. D’autres ateliers sur les exposés oraux ou la procrastination sont aussi offerts. Avis aux intéressés!
L’étudiant de 1920 se reconnaîtrait-il dans celui de 2002? Alors que le premier avait à sa disposition une dizaine de programmes et une centaine de choix de cours, l’étudiant des années 2000 se voit offrir 270 programmes de premier cycle et 292 de deuxième et troisième cycles pour environ 3500 cours. De 1500 qu’elle était en 1920, la cohorte 2002-2003 se compose de 50 000 étudiants.
Diane Baillargeon et Denis Plante
Collaboration spéciale
P.-S.: La rédaction de cette chronique a été rendue possible par la consultation des archives de l’Université de Montréal. Aidez-nous à constituer cette mémoire institutionnelle au moyen des programmes de gestion des documents mis en place par la Division des archives. Renseignements: www.archiv.umontreal.ca.
Sources: Vianney Therrien, «L’amour du métier», Le Quartier latin, 19 février 1952; Éric Bédard, «L’idéologie syndication étudiante: du discours à la pratique, le cas de l’AGEUM (1950–1969)», Bulletin du RCHTQ, vol. 21, no 61, hiver 1995; Michel MacAndrew, «Le syndicalisme étudiant québécois», Parti pris, février 1965, p. 19 à 28; Le Devoir, 7 novembre 1991; la commission conjointe du Conseil et de l’Assemblée de l’Université de Montréal.