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Le professeur Jack Siemiatycki s’attaque aux risques de cancer du cerveau associés à l’usage du téléphone cellulaire. Ça va sonner! |
L’Université de Montréal participe à la plus grosse recherche épidémiologique à avoir jamais été menée sur les effets cancérigènes présumés des radiofréquences émanant des téléphones cellulaires. Coordonnée par l’Association internationale de recherche sur le cancer (un organisme issu de l’Organisation mondiale de la santé), cette étude s’est amorcée en janvier 2000 au Canada et dans plus d’une dizaine de pays. Son objectif est de mettre en lumière un possible lien statistique entre l’utilisation de téléphones mobiles et quatre types de cancers, dont celui du cerveau.
Le professeur Jack Siemiatycki, directeur de la Chaire de recherche en épidémiologie environnementale et santé des populations, est responsable du volet montréalais de cette recherche menée parallèlement à Ottawa et à Vancouver. Au total, 10 100 utilisateurs de téléphones cellulaires atteints d’un cancer, dont 7000 d’un cancer cérébral, constituent l’échantillon.
«Avec un tel nombre de participants et une telle durée — 10 ans —, notre étude sera la plus importante à avoir jamais été entreprise sur ce risque potentiel. Elle permettra d’apporter à cette question la réponse la plus définitive qui soit à ce jour», explique Jack Siemiatycki.
Deux fois plus d’abonnés depuis 10 ans
Le nombre d’abonnés du téléphone cellulaire a plus que doublé au Canada entre 1992 et 1995. Dans les trois villes canadiennes de l’étude par exemple, il est passé de 180 000 à 419 000. À l’échelle planétaire, on estime que, durant la dernière décennie, les utilisateurs du cellulaire sont passés de moins de 1 million à près de 200 millions.
«Le moment est bien choisi pour mener cette étude, affirme le professeur. Plus tôt, le temps de latence, c’est-à-dire le temps écoulé entre l’exposition aux radiofréquences et le développement présumé d’un cancer, aurait été insuffisant; et plus tard, la technologie aurait été trop répandue dans la société pour qu’il soit possible d’établir des groupes témoins de qualité, c’est-à-dire des groupes d’individus complètement non utilisateurs du téléphone mobile.»
Jusqu’à maintenant, on pouvait compter sur les doigts de la main les études significatives en la matière: l’une, américaine, comportait 800 cas et avait été menée par les National Institutes of Health; une autre, suédoise celle-là, avait rassemblé 219 cancéreux. Dans ces deux études, on n’a pas relevé d’associations statistiquement significatives. «On a bien noté toutefois, dans une autre recherche, une augmentation de l’incidence de lymphomes associée à l’exposition aux radiofréquences chez une souche de souris génétiquement prédisposée à développer ce type de cancer. Mais la transposition de ces observations à des cancers humains n’est pas claire pour l’instant», dit l’épidémiologiste.
Que sait-on des radiofréquences qui émanent en particulier des téléphones cellulaires? «L’exposition aux radiofréquences de très faible intensité vient essentiellement de l’antenne interne des appareils, qui reçoit et émet les signaux vocaux, explique Jack Siemiatycki. Le fonctionnement de cette antenne atteint une zone très restreinte de la tête, qui correspond à un volume de cinq centimètres cubes. Mais il existe de nombreuses variantes qui peuvent influer sur le taux d’exposition: le type de technologie cellulaire utilisée (analogue ou numérique), le design de l’appareil, l’utilisation du mobile à l’extérieur ou à l’intérieur des habitations, etc. Et le cumul de ces variantes est encore incalculable pour l’instant.»
Des barrières éthiques complexes
L’amorce de cette vaste étude, à Montréal du moins, n’aura pas été sans mal au chapitre du recrutement des patients. «Les défenseurs de la vie privée, par comités d’éthique des hôpitaux interposés, ont commencé à rendre la vie de plus en plus difficile aux chercheurs, lance le professeur Siemiatycki. Avant, c’était le financement de la recherche qui posait problème; aujourd’hui, c’est l’accès aux malades...»
Le chercheur aura mis un an et demi à convaincre les comités d’éthique des 18 hôpitaux qui ont participé au recrutement des patients de cette étude. «Les comités ne s’opposent pas aux principes de telles études, poursuit-il. Mais ils déclarent que les hôpitaux rompraient un lien de confidentialité si ces derniers révélaient que M. Untel a un cancer. On suggère que le médecin traitant joue le rôle de médiateur entre le malade et le chercheur. Or, les médecins sont débordés…»
Considéré comme un des grands experts canadiens des causes exogènes de cancers — et spécialement des substances cancérigènes en milieu professionnel —, Jack Siemiatycki se définit comme un spécialiste de la méthodologie épidémiologique. C’est à partir de ses travaux dévoilant des défauts de méthodologie majeurs dans les études qui sous-tendaient le discours européen anti-amiante que s’est élaboré, au cours des 10 dernières années, l’argumentaire de la position canadienne en cette matière.
Luc Dupont
Collaboration spéciale