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«On ne dispose pour le moment que de quelques indices sur les causes de la schizophrénie: les drogues peuvent servir d’élément déclencheur, l’hérédité semble jouer un rôle, tout comme les complications néonatales», souligne le psychiatre Pierre Lalonde. |
Le matin du 20 juin 2001, Andrea Yates entend la voix de Satan, qui lui dit attendre ses enfants en enfer. Elle doit les sauver avant qu’ils perdent leur innocence. La mère de 37 ans, originaire du Texas, noie un par un ses cinq bambins dans la baignoire. Puis, elle compose le 9-1-1 et confesse son geste à la police.
Le procès a démontré que Mme Yates souffrait de schizophrénie. Cette forme grave de psychose frappe sans prévenir, le plus souvent des jeunes dans la vingtaine. La médication permet d’atténuer les hallucinations et le délire. Toutefois, les symptômes comme l’apathie, le mutisme, l’absence d’expression ainsi que des problèmes de mémorisation et de concentration persistent longtemps, explique le Dr Pierre Lalonde, professeur au Département de psychiatrie et directeur de la Clinique externe des jeunes adultes à l’hôpital Louis-H.-Lafontaine.
Sans qu’on sache trop pourquoi, après un premier épisode schizophrénique, 20 % des malades guérissent complètement au bout d’une année environ. Ils retrouvent une vie normale et ne rechutent pas. D’autres, résistant à toute médication, s’enferment dans le silence. Ils sont souvent incapables de se concentrer longtemps ou de supporter le stress. Un schizophrène sur 10 se suicide. «Il s’agit d’une maladie chronique, telle que l’insuffisance cardiaque ou l’asthme, pour laquelle on ne dispose d’aucun traitement définitif», soutient le psychiatre.
Le Dr Lalonde est un des principaux maîtres d’œuvre du premier manuel québécois de psychiatrie. Psychiatrie clinique: une approche bio-psycho-sociale, publié en 1980, a servi à former plus d’une génération de médecins, de psychiatres et d’intervenants en santé mentale. Vingt ans d’évolution de la psychiatrie se retrouvent aujourd’hui condensés dans une troisième édition parue récemment chez Gaëtan Morin éditeur.
L’ouvrage, destiné principalement aux professionnels de la santé et aux étudiants en médecine, accorde une place centrale à la schizophrénie. «Cette maladie du cerveau qui dérègle certains circuits neuronaux est très répandue dans le monde, indique le Dr Lalonde. Il y a plus de personnes atteintes de schizophrénie que de la maladie d’Alzheimer. Les schizophrènes occupent huit pour cent des lits d’hôpitaux, tous services confondus. Au Canada, les coûts directs de cette maladie mentale sont évalués à 2,3 milliards de dollars.»
Vulnérabilité biologique au stress
Ce que les chiffres ne disent pas, c’est que la schizophrénie est depuis toujours frappée d’ostracisme. «Il n’est pas rare d’entendre quelqu’un dire qu’un membre de sa famille souffre de diabète ou d’une maladie du cœur, mais on hésitera à révéler qu’on a un frère ou une sœur schizophrène», observe le Dr Lalonde. Même les médecins de famille et les psychiatres sont parfois embarrassés. «Certains sont réticents à poser un diagnostic qui risquerait de causer un choc», confirme le psychiatre.
À son avis, la source du problème se trouve aussi en partie du côté des spécialistes, qui ont longtemps négligé la recherche, présumant autrefois pouvoir tout expliquer par la psychanalyse. De telle sorte que la science en ce domaine a pris beaucoup de retard.
Heureusement, les choses sont en train de changer grâce à la biologie moléculaire et aux scanners, qui permettent l’examen du cerveau en action. Ainsi on connaît mieux la physiologie et la chimie des troubles mentaux. «On sait maintenant que la dopamine joue un rôle dans la schizophrénie. Chez les schizophrènes, la stimulation des récepteurs postsynaptiques par ce neurotransmetteur serait à l’origine des épisodes psychotiques, explique le Dr Lalonde. C’est pourquoi les médicaments antipsychotiques, qui bloquent l’action de la dopamine, atténuent certains symptômes.»
Est-ce là la seule cause de la schizophrénie? Non, répond le psychiatre. «On estime qu’environ la moitié des cas de schizophrénie résultent d’une anomalie des gènes qui participent à la croissance du cerveau.
La schizophrénie serait, dans une grande proportion des cas, héréditaire. Un enfant sur 10 sera touché par la maladie si l’un de ses parents est schizophrène. L’incidence grimpe à un sur quatre chez ceux dont les deux parents sont atteints.
D’autres facteurs survenant pendant la grossesse, comme la grippe ou la prise de drogues, peuvent aussi altérer le développement cérébral du fœtus.»
Des recherches suggèrent en effet l’hypothèse d’une schizophrénie virale due à une infection ou à un traumatisme au deuxième trimestre de la gestation qui nuirait au développement du cerveau du fœtus. «L’hippocampe, qui est actif dans la modulation des émotions et dans la mémorisation, serait notamment plus petit à la naissance chez les schizophrènes. Pour cette raison, on craint que les prématurés courent plus de risques de souffrir au cours de leur vie de schizophrénie.»
Dans tous les cas, la maladie aurait besoin pour se manifester d’un élément déclencheur extérieur, comme des pressions de performance, des relations interpersonnelles difficiles ou la consommation de drogues, précise le Dr Lalonde. Si un jumeau identique souffre de schizophrénie, l’autre a une chance sur deux d’échapper à la maladie. «Cela montre bien que ce ne sont pas seulement les gènes qui sont en cause; le milieu de vie peut avoir un effet protecteur ou précipitant.»
Un manuel de référence québécois
Depuis 1988, Pierre Lalonde coordonne les interventions d’une équipe multidisciplinaire de l’hôpital Louis-H.-Lafontaine qui procure traitement et activités de réadaptation à long terme aux jeunes atteints de schizophrénie, tout en apportant soutien et information à leur famille. Le programme de la Clinique externe des jeunes adultes connaît un tel rayonnement que les méthodes utilisées sont devenues une norme au Québec et ailleurs dans le monde.
La troisième édition de l’ouvrage que vient de publier le Dr Lalonde s’appuie également sur une approche qui veille à intégrer les composantes biologique, psychique et sociale de l’être humain. «Cela est nécessaire pour arriver à des diagnostics plus précis et à des traitements mieux adaptés aux différentes facettes des difficultés que vivent les patients aux prises avec une maladie mentale», estime-t-il.
Dominique Nancy