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Sylvie Mader tient dans sa main une banque de données miniature d’une grande valeur: la micropuce d’ADN. |
Le cadre rectangulaire de sept centimètres sur quatre a l’air d’une simple diapositive grand format. Mais même placé devant une source lumineuse, il demeure opaque à l’œil nu. Normal, puisque cette micropuce d’ADN contient des fragments de la plupart des gènes du génome humain: des centaines de milliers de bases. Pour l’utiliser, il faut faire appel aux ressources de la bio-informatique.
Petit bijou issu de la haute technologie, de la biologie moléculaire et de la génétique humaine, cette micropuce constitue un outil précieux pour la nouvelle titulaire de la chaire CIBC en recherche sur les causes du cancer du sein, Sylvie Mader.
«La micropuce nous permettra d’étudier l’expression des gènes dans les cellules cancéreuses prélevées chez des femmes atteintes de cancer du sein, explique cette Française d’origine qui vit à Montréal depuis 10 ans. Lorsque notre rythme de croisière sera atteint, ce sont plusieurs échantillons par semaine que nous serons en mesure d’analyser pour ce projet, en collaboration avec le Human Genome Center de Montréal.»
Biologiste moléculaire de renom, la professeure Mader a suivi un parcours exemplaire depuis l’obtention de son premier diplôme universitaire, à Paris, en 1987. Chercheuse dans l’équipe du professeur Pierre Chambon, à Strasbourg, où elle a terminé en 1991 un doctorat sur la régulation de la transcription des gènes, elle entre à l’Université McGill et y poursuit des études postdoctorales. En 1995, à l’âge de 30 ans, elle lance les activités de son laboratoire au Département de biochimie de l’Université de Montréal, où elle est aujourd’hui professeure agrégée. Son laboratoire compte une dizaine de chercheurs et récolte des fonds d’environ 400 000 $ par année.
La chaire qui vient de lui être attribuée, dotée d’un capital de plus de un million de dollars, est la deuxième d’une triade dirigée par le Dr André Robidoux, un spécialiste du traitement de cette maladie, lui-même titulaire de la chaire Banque Scotia en traitement et diagnostic du cancer du sein. La nouvelle chaire se consacrera à la recherche fondamentale alors que la troisième, qui verra le jour sous peu, se penchera sur l’épidémiologie.
Comprendre l’action du tamoxifène
Actuellement, seuls quelques médicaments autorisés par Santé Canada sont capables d’agir efficacement contre le cancer du sein: le tamoxifène est un de ceux-là. Il a été démontré que cette molécule, largement utilisée par les oncologues, agit en réprimant l’action des hormones féminines (les œstrogènes). Cependant, son mode d’action n’est pas encore complètement compris. Quand une compagnie pharmaceutique met au point un nouveau produit, elle s’assure de son efficacité et de son innocuité. L’explication de ses effets moléculaires et cellulaires ne représente pas une priorité.
C’est vers cette voie que les travaux de Sylvie Mader s’orientent. «Le tamoxifène est un médicament qui entre en compétition avec les œstrogènes, ce qui limite la progression du cancer du sein. Depuis ma thèse de doctorat, je m’intéresse aux récepteurs des œstrogènes, qui jouent un rôle majeur dans la réplication des cellules cancéreuses mammaires. Nous voulons utiliser nos connaissances dans ce domaine pour mieux comprendre l’action du tamoxifène.»
En agissant sur le système endocrinien, le tamoxifène a malheureusement différents effets secondaires: bouffées de chaleur, nausées, vomissements, etc. Son usage a aussi comme conséquence une augmentation du risque du cancer de l’endomètre. «Les compagnies pharmaceutiques veulent accélérer la conception de nouveaux médicaments anti-œstrogènes, explique Sylvie Mader. Un autre anti-œstrogène, le raloxifène, fait actuellement l’objet essais cliniques en Amérique de Nord. Il semble posséder un meilleur profil d’action sans provoquer une hausse de l’incidence d’un autre cancer.»
Le laboratoire de Mme Mader travaille sur cette molécule en observant son action sur des cellules humaines en culture. Il teste aussi d’autres molécules considérées comme prometteuses par des entreprises pharmaceutiques.
Meilleur que les lignées cellulaires
La micropuce d’ADN a engendré une petite révolution dans le monde de la recherche en biologie moléculaire. L’intérêt de cette technique encore coûteuse et peu accessible est de permettre l’observation des mécanismes d’action des médicaments anti-œstrogènes sur l’ensemble du génome. «Quand j’ai commencé à m’intéresser à ce sujet, nous devions procéder à l’étude de ces mécanismes gène par gène. C’est beaucoup plus intéressant de pouvoir les étudier sur l’ensemble des gènes humains.»
Les chercheurs recourent à des lignées cellulaires afin de scruter l’action pharmacologique des médicaments. Cette technique a ses limites. «Ces lignées proviennent de cellules où des oncogènes sont surexprimés, explique Sylvie Mader. Deux problèmes se posent: l’échantillon restreint de lignées humaines sensibles aux anti-œstrogènes et une évolution possible de ces lignées avec le temps — certaines ont été prélevées il y a plusieurs années.»
Avec la collaboration de médecins et de pathologistes de Montréal et des environs, la professeure Mader espère obtenir un grand nombre d’échantillons de cellules mammaires cancéreuses, qui seront systématiquement analysées avec des micropuces d’ADN représentatives du génome humain. «La culture cellulaire se fera dans les heures qui suivent le prélèvement. Nous aurons ainsi des échantillons plus diversifiés, plus fidèles à l’état des tumeurs chez la patiente.»
Jusqu’à maintenant, plusieurs centaines de gènes associés à l’action des œstrogènes et des anti-œstrogènes ont pu être caractérisés grâce à cette approche. Peu importe leur nombre, explique-t-elle. «L’important n’est pas de savoir combien il y en a, mais plutôt de déterminer lesquels contribuent au cancer du sein et comment.»
Mathieu-Robert Sauvé