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Alain Landry aime bien Côte-des-Neiges, le quartier le plus multiethnique du Canada. Mais les défis y sont immenses: le quart des ménages dépense plus de 50 % de ses revenus pour simplement se loger. |
Avec plus de la moitié de sa population vivant sous le seuil de la pauvreté, le quartier Côte-des-Neiges est un des plus défavorisés de Montréal. Multicaf, un service de repas chauds à prix modiques qui fait aussi du dépannage alimentaire et offre des cours de cuisine santé, aide une partie des plus démunis. En 2001-2002, près de 45 000 dîners et 22 000 déjeuners ont été servis. Pour l’organisme communautaire de sept employés soutenus par une armée de bénévoles, cela représente une moyenne de 183 repas par jour.
«Les besoins sont criants, explique Alain Landry, un homme affable et cordial qui fait volontiers visiter ses installations aux représentants de l’Université de Montréal. Ici, 40 % des familles et 55 % des personnes seules vivent avec de très faibles revenus. Avec 110 langues parlées, c’est le quartier le plus multiethnique du Canada.»
La clientèle de Multicaf, à l’origine, était composée principalement de jeunes. «Dans les années 80, le chèque d’aide sociale était de 180 $ par mois pour les moins de 30 ans. En leur versant des prestations minimales, le gouvernement pensait pousser les jeunes vers le marché du travail. Inutile de dire qu’ils avaient faim. On a donc pensé ouvrir un centre qui leur offrirait différents services en plus de leur donner à manger.»
À sa 14e année d’existence, Multicaf gère un budget de 350 000 $, dont plus du tiers provient de Centraide et le reste de subventions gouvernementales et de dons privés. «Centraide nous assure un financement de base, affirme M. Landry. Avec une subvention de 132 500 $ par année, nous bénéficions d’une des grosses sommes données par Centraide. Pour nous, c’est essentiel.»
Une quinzaine de bénévoles, parmi lesquels des personnes qui effectuent un programme de réinsertion sociale, aident quotidiennement les sept employés rémunérés de Multicaf. Trois fois par semaine, les mardis, mercredis et jeudis, des familles se présentent au comptoir d’aide alimentaire et repartent avec des sacs d’épicerie remplis de denrées choisies selon le Guide alimentaire canadien. Pour les familles nombreuses, le don peut atteindre 12 sacs de nourriture par mois.
Les spécialistes rattachés au centre offrent des ateliers de cuisine collective et organisent des groupes d’achat, où les participants mettent en commun leurs ressources pour acquérir des denrées au prix de gros.
Un travail utile
Diplômé en travail social de l’UQAM, Alain Landry fréquente le quartier Côte-des-Neiges depuis une quinzaine d’années. Il a longtemps été conseiller auprès des locataires à l’organisme L’œil Côte-des-Neiges. Même s’il habite dans Villeray, plus à l’est, il est très attaché à ce coin de Montréal. «On compte ici plus de 96 000 résidants. C’est le deuxième quartier de l’île pour ce qui est de la population. Il y a ici deux fois plus d’habitants que dans ma ville natale: Joliette.»
Dans ce secteur où 48 % des enfants de 0 à 17 ans sont pauvres, il faut tenir compte d’une caractéristique supplémentaire: le défi interculturel. «On perçoit très bien les crises internationales: quand un pays va mal, les réfugiés affluent en plus grand nombre. Il y a eu la Roumanie, puis la Russie. Là, c’est l’Algérie. Il règne ici une grande mobilité: aussitôt que les choses vont mieux dans une famille, celle-ci quitte le quartier.»
Ce défi ne représente pas que des avatars. «C’est agréable de travailler dans ce milieu. Les immigrants ont souvent traversé beaucoup d’épreuves avant d’arriver chez nous. Ils sont très motivés à s’en sortir. La réussite scolaire leur tient à cœur. Ils s’assoient avec leurs enfants à l’heure des devoirs par exemple.»
1 $ pour un repas chaud
À notre passage, la grande majorité des dîneurs étaient des hommes de plus de 50 ans. Ils attendaient de façon disciplinée leur tour afin de prendre leur plateau à la cafétéria. «C’est tranquille aujourd’hui, note Alain Landry. Ça s’explique facilement: on est au début du mois. La semaine dernière, il y avait facilement 50 personnes de plus par repas.»
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Le cuisinier Norval Ellis, à gauche, et son assistant Mohammed Partovi participent au petit miracle quotidien de Multicaf: 183 repas par jour. |
Le dîner coûte 1 $ par personne, moitié prix pour les enfants. Les adultes peuvent acheter une carte qui leur donne droit à 15 repas pour 10 $, ce qui leur revient à 75 ¢ par repas. Cette politique de non-gratuité permet de responsabiliser les usagers. La plupart reçoivent mensuellement un chèque de 500 $ (personnes aptes au travail) ou de 755 $ (inaptes au travail). Les revenus engendrés par le prix de ces repas — quelque 23 000 $ — permettent d’autofinancer une partie des opérations.
Si Centraide finance de façon continue Multicaf depuis plusieurs années, tout est à recommencer chaque fois. Multicaf reçoit en effet régulièrement la visite d’examinateurs envoyés par Centraide. Ils scrutent les statistiques de fréquentation, les états financiers, les dépenses, les revenus, etc. Ce contrôle ne déplaît pas à Alain Landry, qui aime bien avoir de la pression pour assurer la saine gestion de l’organisme. «Certains déplorent le côté sélectif de Centraide. Nous avons la chance d’être au nombre des organisations financées. Alors il nous faut respecter nos engagements.»
Mathieu-Robert Sauvé