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Anne Décary |
Depuis deux ans, à la tombée du jour, des sœurs de la Providence se rendent dans une aile de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal pour passer la nuit dans un laboratoire. Elles trouvent le sommeil dans des lits douillets, entourées de tout le confort d’une chambre, tandis qu’une jeune neuropsychologue du Centre d’étude du sommeil et des rythmes biologiques, Anne Décary, observe leur activité cérébrale.
«Depuis longtemps, les aînés se plaignent de mal dormir, explique la chercheuse adjointe du Département de psychiatrie de la Faculté de médecine. Alors que certains éprouvent de la difficulté à s’endormir, d’autres se réveillent très tôt le matin ou plusieurs fois pendant la nuit. Selon différents sondages, 50 % des personnes âgées ont des problèmes chroniques de sommeil.»
Pour mieux cerner le problème, Mme Décary invite des gens de 60 à 85 ans à venir dormir au laboratoire. Grâce à des électrodes fixées sur la tête des sujets à l’étude, il est possible d’enregistrer l’activité électrique du cerveau et de suivre les différents stades du sommeil. «Avec l’âge, la durée du sommeil léger augmente considérablement alors que celle des stades plus profonds diminue significativement. Or, si un jeune adulte passe environ 25 % de sa nuit en sommeil lent profond, la personne âgée n’y passe guère plus que 5 %.»
Rappelons que différents cycles caractérisent le sommeil. Le sommeil léger, ou stade 1, est généralement très court et marqué par de petits spasmes ou des tressaillements musculaires. Le stade 2 est une étape transitoire où l’activité cérébrale diminue tranquillement. Le sommeil lent profond s’installe véritablement au cours du stade 3. Durant cette phase, les muscles sont totalement relâchés, la température corporelle est à son plus bas, la respiration se fait lente et régulière. Le dernier stade, celui du sommeil paradoxal, communément appelé REM, fait place à une activité cérébrale très intense. C’est la période du rêve.
Une collaboration appréciée
Recruter des volontaires âgés prêts à venir dormir dans un laboratoire n’est pas une chose facile.
«Idéalement, les sujets à l’étude doivent venir dormir trois nuits en laboratoire, explique la chercheuse. La première nuit sert à l’adaptation: les sujets ne sont pas habitués à l’environnement et les électrodes peuvent les gêner, donc nuire à l’endormissement. La deuxième nuit permet de récupérer. Finalement, la troisième est jugée représentative du sommeil à la maison. C’est la nuit d’expérimentation.»
La collaboration des sœurs de la Providence, fondatrices de l’Hôpital du Sacré-Cœur, est très appréciée par la chercheuse. «Travailler avec des religieuses représente d’énormes avantages. Elles forment un groupe relativement homogène de femmes qui ont une alimentation équilibrée, qui n’ont jamais eu de grossesses ni de stress majeur dans leur vie. De plus, les religieuses habitent sur le terrain de l’Hôpital, ce qui facilite leur déplacement.»
Mémoire à l’épreuve
En bonne neuropsychologue, Anne Décary tente de comprendre l’impact du manque de sommeil sur les fonctions cognitives des personnes âgées. Pendant les journées qui séparent les nuits passées en laboratoire, elle soumet ses sujets à des tests neuropsychologiques. Avec son équipe, elle met à l’épreuve leur mémoire, leur concentration, leur attention et leur langage. «Les personnes dont le cycle de sommeil est perturbé peuvent-elles encore mobiliser leur attention et effectuer des tâches qui demandent de la concentration? Ou bien l’incidence du manque de sommeil est-elle trop grande pour permettre un fonctionnement adéquat durant la journée? C’est à ce type de questions que je désire répondre.»
Grâce à ses résultats, la chercheuse espère déterminer s’il existe une corrélation entre la perturbation du sommeil et les pertes cognitives. «D’entrée de jeu, on sait que les fonctions cognitives déclinent lors du vieillissement. Je veux donc savoir si le manque de sommeil peut être tenu en partie pour responsable de cette détérioration. L’un est-il irrémédiablement lié à l’autre ou s’agit-il de deux phénomènes indépendants?»
Ultérieurement, Mme Décary espère pouvoir intervenir afin d’améliorer la qualité du sommeil des personnes âgées. «Trop souvent, les médecins privilégient une approche pharmacologique pour traiter les problèmes de sommeil, ce qui amorce un cycle de dépendance. Je crois qu’il faut mettre l’accent sur d’autres modes d’intervention. Seulement sur le plan de l’hygiène du sommeil, on peut obtenir des résultats intéressants, par exemple en incitant les gens âgés à faire de l’exercice le jour ou à réduire les sources de bruit pendant la nuit, Ces actions peuvent sembler banales, mais beaucoup d’aînés ignorent ces petits trucs. Certains se couchent à 20 h et se plaignent de se réveiller à 4 h du matin!»
Dominique Forget
Collaboration spéciale