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La Dre Nancy Haley étudie les jeunes de la rue depuis sept ans. Leur accès aux services de santé pose des défis aux spécialistes de la santé publique. |
« Les jeunes de la rue adoptent souvent des comportements à risque à l’égard des maladies contagieuses, particulièrement les maladies sexuellement transmissibles et les infections transmises par le sang», explique la Dre Nancy Haley, professeure agrégée de clinique au Département de pédiatrie de l’Université de Montréal, pédiatre à l’hôpital Sainte-Justine et médecin-conseil à la Direction de la santé publique de Montréal-Centre.
Depuis sept ans, la Dre Haley mène à Montréal, avec la Dre Élise Roy, de l’Université McGill, des recherches auprès d’une cohorte de 1040 jeunes de la rue âgés de 14 à 25 ans. Ces jeunes fréquentent des organismes communautaires comme Le Bon Dieu dans la rue, le Bunker, le Refuge des jeunes ou d’autres endroits qui aident les jeunes en difficulté.
Dans leurs travaux, elles étudient les comportements à risque chez les jeunes et la prévalence du VIH, des hépatites et des maladies transmises sexuellement comme la gonorrhée et l’infection à chlamydia. Cette équipe de recherche a publié en 1998 une étude sur le très haut taux de mortalité des jeunes de la rue. Comparativement à l’ensemble des jeunes de leur âge, ce taux est 11 fois supérieur. Les causes de ces décès: suicides, surdoses, accidents, maladie. «Une grande proportion de jeunes de la rue souffrent de toxicomanie et éprouvent simultanément des problèmes de santé mentale, explique Nancy Haley. Cette combinaison pose de sérieux problèmes aux jeunes lorsque ceux-ci doivent trouver les soins et les services dont ils ont besoin.»
Drogue par injection
Les médecins ont révélé que 36 % des jeunes de la rue, à Montréal, s’injectaient des drogues, un des plus hauts taux au Canada. Puis elles ont documenté la prévalence du VIH (1,9 %), de l’hépatite B (9,2 %) et de l’hépatite C (12,6 %) dans cette population.
La dernière étude du groupe porte sur l’infection à chlamydia et a été publiée récemment dans l’International Journal of STD and AIDS. Résultat: 6,6 % des 302 jeunes qui ont participé à la recherche se sont révélés positifs. Compte tenu des effets majeurs d’une infection à chlamydia non traitée (maladies chroniques, infertilité, grossesses ectopiques), ce pourcentage est «préoccupant», selon la Dre Haley. «Nous avons découvert aussi que plus de 44 % des jeunes filles avaient vécu une grossesse.»
Les sujets de l’étude étaient des jeunes de 14 à 25 ans (âge moyen: 20,9 ans) interviewés entre les mois d’octobre 1999 et de mars 2000. Francophones ou anglophones, ils ont été désignés comme des jeunes de la rue parce qu’ils ont été sans domicile fixe durant au moins une nuit au cours de la dernière année ou parce qu’ils ont eu recours à des agences d’aide aux jeunes à au moins trois reprises. C’est d’ailleurs par l’intermédiaire de ces agences que le recrutement a été rendu possible.
L’âge de la première relation sexuelle, chez les répondants, était de 14 ans. Un sur 10 avait reçu une rétribution pour ses activités sexuelles. Soixante-deux pour cent des filles et 26 % des garçons avaient été maltraités sexuellement dans le passé.
La prévalence de l’infection à chlamydia n’était pas significativement différente selon le sexe des participants. Mais l’âge est apparu comme un facteur déterminant: l’infection était 2,2 fois plus fréquente chez les 14-20 ans que chez les 21-25 ans.
«La prévalence de l’infection à chlamydia est modérément élevée chez les jeunes de la rue à Montréal, écrivent les auteures en conclusion de leur article. Comme cette infection est asymptomatique dans plus de 50 % des cas chez les hommes et 70 % des cas chez les femmes, elle est bien souvent non diagnostiquée et non traitée.»
Pour ces raisons, elles en appellent à un dépistage plus systématique de cette maladie. Le haut taux de participation qu’elles ont obtenu les encourage à penser que les jeunes ne sont pas réfractaires à des tests non invasifs visant à améliorer leur santé.
Recherche et action
Les Dres Haley et Roy, avec leur équipe de recherche, ne font pas qu’étudier les jeunes qu’elles rencontrent dans leurs milieux (parcs publics, terrains vagues, etc.). Elles interviennent aussi pour favoriser leur accès aux services de santé.
«Lorsque nous avons découvert la forte prévalence de l’hépatite B, nous avons constaté que seulement 10 % des jeunes étaient vaccinés. Nous avons donc organisé une campagne massive de vaccination à laquelle 1400 jeunes ont participé. Plus de 80 % d’entre eux se sont présentés à leur rendez-vous pour la deuxième dose et 50 % pour la troisième. Compte tenu de la clientèle, cette proportion représente un franc succès. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour faciliter leur accès aux services dont ils ont besoin afin de soulager leurs multiples problèmes de santé physique et mentale.»
Mathieu-Robert Sauvé