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Jean-Pierre Changeux |
«La science est la recherche continue de vérité. Et la sélection de la vérité assure la survie de l’individu, de la société et de l’humanité.» Cette recherche de sens rendue possible par les prouesses de notre cerveau était le thème de la conférence du neurobiologiste Jean-Pierre Changeux présentée aux Belles Soirées le 5 novembre dernier.
Professeur à l’institut Pasteur, à Paris, et titulaire d’un doctorat honorifique de l’Université de Montréal, le conférencier a exposé son hypothèse sur le rôle des «neurones de la récompense» dans la sélection des réseaux neuronaux. Cette hypothèse est développée dans son dernier volume, L’homme de vérité, dans lequel il poursuit l’aventure scientifique amorcée avec L’homme neuronal au début des années 80.
Stabilisation sélective
Considéré comme l’un des pères de la neurobiologie moderne par ses travaux sur la communication entre les neurones, Jean-Pierre Changeux a d’abord expliqué que «le cerveau n’est pas un système passif; il est spontanément actif, même sans stimulation externe ainsi qu’on peut l’observer durant le sommeil.» Dans cette optique, ce n’est pas la conscience qui active le cerveau, mais l’activité cérébrale qui produit la conscience.
La prodigieuse machine cérébrale, composée de 100 milliards de cellules reliées entre elles par un million de milliards de connexions synaptiques, s’autoconstruit tout au long de la vie et de façon plus particulièrement déterminante dans les premières années suivant la naissance. Selon la théorie de la stabilisation sélective du professeur Changeux, seules les connexions synaptiques viables au regard de l’expérimentation et de l’apprentissage sont maintenues alors que les non viables sont détruites. «Apprendre, dit-il, c’est éliminer.»
Parmi les réseaux retenus, certains systèmes se spécialisent dans le stockage d’éléments d’information permettant de construire le sens. «L’imagerie cérébrale nous montre que des neurones différents sont stimulés lorsqu’un sujet regarde l’image d’un outil ou celle d’un visage, explique le professeur. La même chose peut s’observer lorsqu’on lui fait entendre des mots concrets ou des mots abstraits; ce ne sont pas les mêmes neurones qui entrent en fonction. Il existe donc une géographie neurale du sens.»
Mais comment ces réseaux du sens s’élaborent-ils? Comment le cerveau en arrive-t-il à savoir qu’une chose est vraie ou fausse? Le neurobiologiste avance ici l’hypothèse des «neurones de la récompense», qui agiraient à la manière du renforcement positif, ou du conditionnement par récompense, lorsqu’on veut transmettre un comportement ou une information à un enfant.
Ces neurones de la récompense sont ceux associés aux sensations agréables, par exemple les neurones dopaminergiques. Selon Jean-Pierre Changeux, ils s’activeraient pour stabiliser un circuit neuronal lorsque l’expérience ou le contact avec autrui valide l’association établie entre un signifié et un signifiant lors de l’apprentissage.
Le siège de la conscience
Les travaux de Jean-Pierre Changeux ont par ailleurs mis en évidence l’importance du cortex préfrontal dans le raisonnement et la mémorisation, deux composantes essentielles de ce que nous nommons la conscience.
Chez l’être humain, le cortex préfrontal représente 29 % de l’ensemble du néocortex alors qu’il ne compte que pour 17 % chez le chimpanzé. Les connexions possibles dans ce cortex sont ainsi augmentées de 70 % chez l’homme par rapport à son plus proche parent, ce qui augmente d’autant son «espace de travail» neuronal. Cette différence majeure peut ne mettre en cause qu’un nombre très limité de gènes de développement intervenant tôt dans l’embryogenèse lorsque les surfaces des cortex sont définies.
Ce cortex préfrontal serait particulièrement riche en neurones aux axones longs. «Les axones longs permettent de relier des cortex entre eux, comme le cortex auditif et le cortex visuel, explique M. Changeux. Il en existe aussi qui raccordent les deux hémisphères. Plus le cortex préfrontal est important, plus il y a d’axones longs et plus la conscience peut être développée.»
L’imagerie cérébrale montre d’ailleurs une grande activation de ce cortex dans des tâches de mémorisation et de raisonnement déductif.
Et à ceux qui seraient portés à objecter que l’observation d’un cerveau ne nous montrera jamais la conscience, l’intelligence ou l’amour, Jean-Pierre Changeux fait sienne cette boutade: quand on ouvre un réveil, c’est la même chose, on ne voit pas l’heure qu’il est.
Daniel Baril