Édition du 25 novembre 2002 / volume 37, numéro 13
 
  La blonde de mon père
Le double défi de la belle-mère: être belle et mère.

 

La recherche de Valérie Laflamme veut cerner les facteurs qui favorisent l’intégration des nouvelles conjointes dans les familles recomposées. 

Dans la tragédie grecque Médée, d’Euripide, l’héroïne préfère tuer ses enfants plutôt que de les confier à Créüse, la nouvelle conjointe de son amant, qu’elle finit également par tuer.

Toutes les histoires de foyers recomposés ne se terminent pas de la sorte, mais Valérie Laflamme voit dans cette tragédie l’illustration de la rivalité pouvant s’installer entre une mère biologique et la nouvelle compagne de son ex qui, pour les enfants, devient la belle-mère. Comme pour le complexe d’Œdipe, le récit d’Euripide serait riche en contenus inconscients refaisant surface en pareille situation.

Valérie Laflamme s’intéresse au vécu des belles-mères afin de cerner les facteurs qui facilitent leur intégration dans le contexte d’une situation délicate et potentiellement conflictuelle.

«Les statistiques montrent que 50 % des premières unions se terminent par un divorce et que 60 % des familles recomposées éclatent de nouveau au cours des cinq premières années, souligne-t-elle. On s’est beaucoup préoccupé de l’impact de ces divorces sur les enfants, mais on s’est très peu penché sur la situation de la belle-mère. Une meilleure intégration de cette nouvelle conjointe dans la famille pourrait prévenir l’éclatement et constituer ainsi un facteur de protection pour la santé mentale des enfants.»

Sous la direction d’Hélène David, du Département de psychologie, Valérie Laflamme consacre ses travaux de doctorat à cette problématique.

Isolement et jalousie

Les témoignages qu’elle a recueillis jusqu’ici auprès de ces belles-mères indiquent qu’elles se sentent plutôt isolées et délaissées. Même si des proches peuvent jouer un rôle de soutien, elles n’osent pas révéler les conflits qu’elles vivent de crainte d’être perçues comme des marâtres.

«Pour plusieurs de ces femmes, la situation ne présente toutefois aucun problème majeur, tient d’abord à préciser Valérie Laflamme. Mais lorsque des tensions surgissent au sein de la famille recomposée, les belles-mères se sentent rejetées, éprouvent un sentiment de détresse, vivent de l’insatisfaction conjugale et souffrent d’une faible estime d’elles-mêmes.» En fait, résume la chercheuse, «elles ne se perçoivent ni belles ni mères».

L’une des principales causes de la mauvaise estime de soi serait que le conjoint a déjà éprouvé le plaisir de la paternité avec une autre femme. La présence des enfants lui rappelle d’ailleurs sans cesse qu’elle n’est pas la première dans la vie de son conjoint. «Cette situation suscite de la jalousie, a observé Mme Laflamme. La rivalité est très présente, c’est un sentiment que toutes les femmes ont exprimé.»

Vierge et putain

Ce que les belles-mères redoutent le plus, c’est de se faire dire par un enfant «Tu n’es pas ma mère». Cette phrase assassine est particulièrement éprouvante lorsque la belle-mère a le sentiment d’avoir investi beaucoup dans le bien-être des enfants. La phrase leur signifie clairement qu’elle occupe une place non seulement qu’elle n’a pas choisie, mais à laquelle la représentation symbolique de son rôle d’épouse et de mère ne l’a pas préparée.

Surgit donc le conflit entre les images de la femme-épouse, qui se doit d’être belle dans son rôle sexuel, et de la reproductrice, qui se doit d’être mère. Quoi qu’on dise de l’ambiguïté du terme, le mot «belle-mère» semble prendre ici tout son sens.

Pour l’école psychanalytique, à laquelle se rattache Valérie Laflamme, la belle-mère incarne donc ce double archétype de la Vierge — la mère n’étant pas un être sexuel — et de la putain, dont la fonction se restreint à un rôle sexuel. «La belle-mère peut être perçue comme la putain par les enfants parce qu’ils pensent qu’elle n’est pas là pour faire des enfants, soutient la chercheuse. Dans leur inconscient, la place symbolique de la mère est déjà occupée par la mère biologique.»

Le fait de réveiller le rôle refoulé de la partenaire sexuelle que remplit la mère serait une source de culpabilité pour la belle-mère. Pour l’étudiante et sa directrice, qui signent conjointement un texte sur ce thème dans la Revue française de psychanalyse de janvier 2002, il apparaît donc important que les mères biologiques transmettent à leur progéniture l’image d’une «femme-en-la-mère» libidinalement satisfaite. «La perception que les enfants auront d’une éventuelle belle-mère n’en sera qu’améliorée», écrivent-elles.

De la même façon, si la belle-mère réussit à s’approprier son double rôle sur le plan de la symbolique, son intégration au sein de la famille s’en trouvera facilitée.

Selon Valérie Laflamme, cette tension serait par ailleurs moins forte lorsque la belle-mère est aussi mère biologique ou lorsqu’elle a des enfants avec son nouveau conjoint. Non seulement se sent-elle alors plus sûre d’elle dans ses fonctions de «mère adoptive», mais les enfants la considèrent comme une «femme qui a des enfants» au lieu de la voir comme une «sorcière ayant triomphé de la Vierge», et ils se permettent dès lors plus d’intimité avec elle.

Daniel Baril


Belles-mères recherchées

Valérie Laflamme a besoin de témoignages pour mener à terme sa recherche sur l’intégration des belles-mères à leur nouvelle famille. Si vous êtes dans cette situation et prêtes à témoigner, vous pouvez communiquer avec elle au (514) 836-3210. La chercheuse recueille des témoignages de toutes sortes, quelles que soient les situations vécues, positives ou négatives. Les situations non conflictuelles représentent d’ailleurs pour elle un apport essentiel afin de déterminer les facteurs de réussite. 



 
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