Édition du 9 décembre 2002 / volume 37, numéro 15
 
  Atanarjuat, plus rapide que la légende
La conférence Spry accueille Zacharias Kunuk, réalisateur d’Atanarjuat, la légende de l’homme rapide.

 

Zacharias Kunuk a tenu à ce que tout dans son film soit authentiquement inuit, même la façon communautaire de travailler. 

Lorsqu’il s’est attaqué à la production d’Atanarjuat, la légende de l’homme rapide en 1996, Zacharias Kunuk était loin de se douter qu’il allait être propulsé du jour au lendemain sur la scène internationale. La rapidité du succès de son film fut encore plus grande que celle du coureur de la légende.

Inconnu il y a moins de deux ans en dehors d’Igloolik, son village natal de 1200 habitants sur une île du Nunavut, Zacharias Kunuk a attiré l’attention des milieux cinématographiques lorsque son film a remporté la Caméra d’or au Festival de Cannes en 2001. Depuis, le succès ne s’est pas démenti et le film a accumulé plus d’une douzaine d’autres prix majeurs, dont celui du meilleur long métrage canadien au Festival international du film de Toronto et six prix Genies.

Le réalisateur inuit était de passage à l’Université de Montréal le 27 novembre dernier pour parler de son travail et de son œuvre à l’occasion de la Conférence commémorative Spry, une conférence annuelle sur la radiodiffusion publique organisée conjointement par le Département de communication de l’UdeM et l’Université Simon Frazer.

L’auditoire a pu ainsi apprendre que la carrière de Zacharias Kunuk a débuté à Montréal. «En 1981, j’étais venu à Montréal pour vendre quelques-unes de mes sculptures, a-t-il raconté. Avec l’argent, je me suis acheté une caméra vidéo.» Cette caméra, la première à être introduite à Igloolik, devait d’abord servir à immortaliser les récits de voyages de chasse de son père.

Quatre ans plus tard, le cinéaste en herbe décroche une subvention du Conseil des arts du Canada afin de réaliser un documentaire sur le mode de vie inuit. Les choses vont si bien qu’en 1990 il fonde les Productions Igloolik Isuma, la première maison de production inuite du Canada, dont la mission est de préserver et de rehausser la culture inuite. Depuis, le vidéaste a tourné près d’une trentaine de documentaires et de dramatiques sur la vie de son peuple.

Et c’est aussi en format vidéo qu’Atanarjuat a été réalisé avant d’être transféré sur pellicule 35 mm.

Cent pour cent inuit

Le budget relativement modeste pour les conditions extrêmes dans lesquelles s’est déroulé le tournage — soit près de 2 M$ — a permis d’injecter plus de 1,5 M$ dans l’économie régionale d’Igloolik.

Zacharias Kunuk a en effet tenu à ce que tout soit authentiquement inuit, y compris les acteurs, qui proviennent tous d’Igloolik, et la façon communautaire de travailler. Dans Atanarjuat, pas de figurants japonais comme dans Agaguk.

Toutes les compétences locales ont été mises à contribution. D’abord la mémoire des anciens pour recueillir les versions de la légende. Puis le savoir-faire des artisans pour recréer les instruments de chasse, les traîneaux, les kayaks, les tentes et les vêtements.

«C’est le premier film où l’on ne voit pas d’Inuits soûls ou en train de renifler de la colle», a lancé le cinéaste. Il a toutefois bien failli ne jamais pouvoir travailler dans son village puisque sa communauté avait voté contre la venue de la télévision dans les années 70; parce qu’elle ne diffusait que des émissions en anglais, les anciens n’en voyaient pas l’utilité. «Il n’y avait rien en inuktitut et tout ce que nous avions à écouter était des films de cow-boys et d’Indiens avec John Wayne», a-t-il relaté avec ironie.

Quant à la légende d’Atanarjuat, vieille de 500 ans, elle raconte la rivalité qui se développe entre deux clans lorsqu’un nouveau chaman arrive dans la région. Les anciens la racontaient pour enseigner aux enfants que les besoins du groupe doivent passer avant les besoins individuels, sans quoi il n’y aurait pas de société ni de survie possible.

C’est pour faire revivre ces coutumes et traditions auprès des jeunes que Zacharias Kunuk les a immortalisées sur pellicule. Le film contribue entre autres au renouveau chamanique que connaît la communauté inuite, 200 ans après que les missionnaires eurent interdit cette pratique. Et à ceux qui seraient portés à voir une influence chrétienne dans le pardon que la famille du héros accorde à l’autre clan, Zacharias Kunuk rétorque que «l’amour, la jalousie, le pardon et la spiritualité sont des valeurs universelles».

On pourrait même ajouter «plus universelles que canadiennes» tant le film a eu de la difficulté à trouver un distributeur au pays. Il a connu un succès international avant de pouvoir être vu à Montréal et à Toronto. Pour le directeur de la photographie, Norman Cohn, présent à la conférence, le succès d’Atanarjuat pourra avoir des retombées positives sur l’ensemble du cinéma indépendant au Canada et atténuer la méfiance des producteurs et des distributeurs. «Ce succès va rendre les choses plus faciles», espère-t-il.

Daniel Baril




 
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